La Compagnie Affable

Textes & Scènes de Théâtre / Dialogues de Cinéma / Séries / Littérature / Philo / Poésie…

Interview du Rappeur-Bûcheron Zippo

Rappeur Zippo BûcheronLe rappeur-bûcheron Zippo nous a fait l’honneur d’une interview dans laquelle il décrypte son univers musical, ses influences artistiques et philosophiques, et sa lutte tout feu tout flamme contre les dérives modernes. 

V.M. : Bonjour, Zippo. Est-ce que tu peux d’emblée nous dire pourquoi tu as choisi ce nom-là ?

Zippo : C’est d’abord un cadeau qu’on m’a fait pour mes vingt ans, quelque chose qui m’a touché à l’époque. J’aime bien mettre du sens et du symbole dans certains objets, en faire des points de repère. Du coup je me suis « tiens, ça serait pas mal comme nouveau blaze ». D’autant plus que j’entretiens un lien particulier avec le feu, c’est quelque chose qui me fascine depuis tout petit. Le Zippo c’est un objet très fort symboliquement, c’est transporter le feu sur soi en permanence, le feu qui fait la différence entre l’homme et les autres animaux, qui remplace les griffes et les crocs. Nos ancêtres avaient des silex à la ceinture, moi j’ai mon zippo. 

V.M. : Avant de parler plus en détails des thèmes abordés dans tes textes, est-ce que tu peux nous raconter comment tu es « tombé » dans le rap ?

Zippo : Assez naturellement je crois… Enfant, j’ai vécu les débuts du rap français, son explosion dans les années 90. Dès la 4ème, je me souviens avoir commencé à écrire des textes avec des potes, plutôt pour le délire au début, et puis les gars avaient l’air de kiffer ce que je racontais, ça m’a donné envie de réécrire un texte, puis un autre, et je ne me suis plus vraiment arrêté. En général, quand tu trouves de la reconnaissance quelque part ça suffit à te donner le peu d’estime de toi nécessaire pour continuer là-dedans, surtout à cet âge de doute qu’est l’adolescence. Pour moi, ça a été le rap, comme pour d’autres, c’est le foot j’imagine. 

V.M. : Quelles sont tes références dans le hip-hop ?

Zippo : Récemment on m’a fait remarqué que dans les premiers albums enregistrés avec le Pakkt j’avais souvent des flows à la Oxmo, le Oxmo des débuts. En fait j’avais un peu oublié cette influence mais c’est vrai qu’a un moment de ma vie j’analysais beaucoup les styles d’écriture des MCs, et Oxmo avait ce truc un peu élastique et imprévisible qui lui donnait une rythmique très spéciale, sans parler de sa plume, qui m’a probablement beaucoup influencé. Par exemple, quand tu réécoutes « Visions de vie » tu te dis que plus personne ne rap comme ça aujourd’hui. C’est marrant comme l’époque conditionne des styles. Moi-même par la suite j’ai été influencé par des dizaines d’autres rappeurs qui ont modifié mon approche de l’écriture, aujourd’hui j’ai perdu cette élasticité, j’écris d’une façon peut-être plus prévisible, conditionnée par la rime multi-syllabique entre autres, mais j’adore ça, et je ne peux plus revenir en arrière. Maintenant, mes influences sont multiples, j’aime beaucoup la plume de Vîrus ou Casey, par exemple, et ça ne m’empêche pas d’adorer la rage d’un type comme Sofiane ou la créativité d’un Alkpote, même si tous ces styles sont très différents. 

V.M. : On sent d’autres influences musicales dans les prods de tes chansons : jazz, électro… Quelles sont tes références en dehors du hip-hop ?

Zippo : Quelques belles plumes de la chanson française : Brassens qui m’a beaucoup appris dans la façon de raconter une histoire et pour son univers plein de poésie, emprunt d’un certain regard sur le monde ; Ferré m’a énormément aidé à me construire aussi, pour la puissance qu’il parvient à mettre dans sa musique et son coté revendicateur, son dédain pour le pouvoir ; Brel bien sûr, Gainsbourg, Barbara… J’aime beaucoup le jazz mais pas assez bien pour pouvoir en parler ; pareil pour le classique, je peux te citer des morceaux que j’adore mais je connais mal les œuvres complètes. Pareil pour l’électro, ou même le rock alternatif, j’ai vraiment écouté un peu de tout, même si j’ai le sentiment d’être un peu moins curieux qu’avant.

V.M. : Tes textes abondent aussi d’images, je pense aux « kiwis bleus » décrits dans la chanson « Des Singes dans la Tour Eiffel », par exemple, à la pochette de « l’album lent » (créé avec le collectif Le Pakkt), ou encore à ce tableau qui apparaît à la fin de « Paradis Perdu » sur ta vidéo Youtube. Est-ce que ton inspiration vient aussi de la peinture ? 

La Traversée Manon Aubry

« La Traversée » de Manon Aubry.

Zippo : J’avoue que je suis très sensible aux images. Chez moi, ça commence à devenir n’importe quoi, les murs sont un peu saturés ces derniers temps. Ca peut être un dessin qui me parle, une toile, une photo… Je fais moi-même un peu de photo, comme ça pour le plaisir, je les encadre. J’aime bien me construire mon petit univers de cette façon, ça me rappelle qui je suis, ou qui j’ai envie d’être. Donc oui ça participe à mon inspiration d’une certaine façon. Mon dernier gros coup de cœur en peinture va à Manon Aubry, qui a peint la pochette de l’album. Elle a mis 4 mois à la peindre, c’est une toile de 1,20 mètre de côté qu’on a réduit au format pochette 12x12cm, mais il faut voir ses toiles en taille réelle, c’est impressionnant. Il y a un travail sur la couleur, la lumière, et surtout sur le sens et la symbolique que je ne retrouve chez personne d’autre à l’heure actuelle, ça force l’admiration.

V.M. : On sent chez toi un goût profond pour la poésie, j’ai noté un clin d’oeil à Villon notamment, qui tu mettrais dans ton Panthéon de la rime, en poésie comme en chanson française ? 

Zippo : Ferré dont je parlais tout à l’heure, sans hésiter, parce que, grâce à lui, j’ai découvert tous les autres, tous les poètes qu’il a mis en musique : Baudelaire, Apollinaire, Aragon, Villon, bien sûr. C’est beau d’avoir voulu les chanter, les rendre accessible à un public pas toujours assez curieux ou trop blasé pour aller au-devant de leur forme littéraire. En fait, tous les chanteurs que je citais tout à l’heure sont aussi pour moi de grands poètes. Il me semble que les gens se font une fausse idée de la poésie, il ne s’agit pas d’écrire en alexandrins ou de déclamer d’une façon théâtrale, mais de regarder le monde et de donner à le voir autrement. Par exemple, il y a cette fin du poème « Marizibil » d’Apollinaire qui m’émeut toujours autant : 

« Je connais gens de toutes sortes
Ils n’égalent pas leurs destins
Indécis comme feuilles mortes
Leurs yeux sont des feux mal éteints
Leurs cœurs bougent comme leurs portes. »

V.M : Parlons maintenant des penseurs qui ont nourri ta vision du monde. Est-ce que tu peux nous en citer quelqu’uns, et les idées qui t’ont marqué ?

Zippo : Pas évident de retracer son propre cheminement intellectuel. Sans surprise, comme beaucoup, je pense, j’ai eu ma phase nietzschéenne aux alentours de vingt ans. Ce qui est stimulant chez Nietzsche, c’est que tu y trouves un peu ce que tu as envie d’y trouver, tu peux passer d’un aphorisme à l’autre en fonction de ce qui résonne avec tes préoccupations du moment. Le Gai savoir m’a accompagné pendant un moment et aidé à me construire. Aujourd’hui encore j’aime beaucoup Nietzsche, mais je crois comprendre sa pensée différemment. J’ai découvert la philo un peu en autodidacte, grâce à des amis qui m’ont conseillé aussi, j’ai pioché ce dont j’avais besoin un peu partout pour me construire un système. J’aime beaucoup les stoïciens, Sénèque par exemple. Au niveau littérature, j’ai eu ma grosse période Giono, le Giono des débuts et tout son cycle de Pan, qui sous-tend toute une philosophie panthéiste et un rapport très intime à la nature, ça me parle beaucoup. Sinon, plus récemment, des auteurs comme Noam Chomski, ou encore Günther Anders, m’ont aidé à préciser mon esprit critique… Il y en a plein en fait, je ne peux pas te faire de liste exhaustive !

V.M : Dans tes chansons, tu abordes tout un tas de sujets préoccupants qui vont du « fléau néo-libéral » au transhumanisme, en passant par les désastres écologiques… Est-ce que tu as l’impression que Zippo « noircit l’tableau » ?

Zippo : Non je ne crois pas… En fait, ce qui me sidère c’est plutôt l’inverse, le fait que personne ne semble conscient du désastre dans lequel on vit, le fait que tous ces artistes entretiennent un grand spectacle, un immense divertissement, où tout le monde s’amuse pendant que notre monde s’effondre à tous les niveaux. Il y a tellement de choses à combattre, à souligner, à signaler, et on pourrait le faire de mille façons différentes, mais non. On préfère se complaire dans cette petite médiocrité quotidienne faite d’anecdotes, de petits récits personnels complètement nuls et stériles, d’histoires d’amour ou de réussite sociale, de fric ou même de pseudo-combats à côté de la plaque. Mais il y a quand même de rares exceptions qui relèvent le niveau, des gens qui s’échinent à tirer la sonnette d’alarme. 

V.M : Il y a du Romantisme en toi, au sens littéraire du terme : on sent ton grand amour pour la nature et un ancien monde perdu. Est-ce que tu crois que nous pouvons individuellement et collectivement rectifier le tir ? Et quelle est ta conception de l’engagement politique ou citoyen en 2018 ?

Zippo : Franchement je ne crois pas qu’on puisse rectifier le tir, ça m’a tout l’air d’être très très mal barré. Et puis les gens n’en ont pas envie, ils ont une faculté de projection de 6 mois, ou de 6 ans, pas de 60. Si on pouvait tous aller dans le futur, mettons en 2080, pendant une petite journée pour aller voir comment ça se passe là-bas, puis revenir en 2018, là oui, ça mettrait une bonne grosse claque à l’ensemble de l’humanité, et peut-être qu’on pourrait rectifier le tir. Mais en attendant tout ce qu’on peut faire, c’est se battre contre la monétisation systématique du monde par exemple, du monde animal et végétal, duquel notre propre survie dépend. Ma conception de l’engagement ne passe pas par les urnes. On a essayé, ça n’a pas marché, on a réessayé et réessayé, ça n’a pas marché. Alors il va falloir s’organiser entre nous, sans les politiciens. Il y a une citation d’Einstein que j’aime bien : « La folie c’est de refaire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent ». Tout est dit. 

V.M. : Jean-Michel Blanquer a filé Les Fables de la Fontaine illustrées par Joann Sfar à tous les CM2, et toi, qu’est-ce tu nous conseilles de lire cet été ?

Zippo : J’ai des copains qui ont édité un petit bouquin récemment, qui s’appelle  Comment la non-violence protège l’Etat, aux éditions Libre. Ca peut être un bon point de départ pour pimenter vos vacances à la plage !

V.M : Avant de se quitter, un message d’espoir pour la jeunesse ?

Zippo : Vous pouvez tout faire, ne les écoutez pas, eux, ils n’ont pas osé. Et dans la version de Sénèque :

« Ce n’est pas parce que c’est difficile que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas que c’est difficile. »

Merci à Zippo de m’avoir accordé cet entretien. Je vous invite chaudement à découvrir ses titres, et notamment l’album Zippo contre les robots, qui est sorti en mars dernier (ma préférée dessus, c’est la chanson « Google ») ! Et vous pouvez bien sûr suivre les aventures du rappeur niçois sur sa page Facebook. 

 

Un commentaire sur “Interview du Rappeur-Bûcheron Zippo

  1. monsieur wolgan
    21 juillet 2018

    Belle interview

    J’aime

Laisser un commentaire

Information

Cette entrée a été publiée le 20 juillet 2018 par dans Interviews, Poésie, Rap, et est taguée , , , , .