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A force de corner volontairement une page sur deux dans ce texte profondément hilarant (que j’ai découvert à Avignon cet été dans une mise en scène brillante de la Compagnie des Indiscrets), il fallait que je lui rende hommage ! Voilà pourquoi je présente le mot du jour, « putatif« , inséré dans un extrait qui fait honneur à la plume de Romain Gary/Emile Ajar et à sa/leur capacité infinie de renouveler le langage au-delà des « étiquettes », comme dit Bergson.
Commençons par une définition rigoureuse du mot « putatif« . Premier sens avancé par Larousse, c’est un adjectif qui s’applique à quelque chose qui est « supposé avoir une existence légale ». Il vient du latin putare : supputer, compter, estimer. On le retrouve souvent accolé à « père » ou « fils » pour désigner une affiliation supposée, qui ne correspond pas à la réalité. C’est cette expression qui nous intéresse.
De fait, cet ouvrage retrace le canular Romain Gary/Emile Ajar à travers l’auto-psychanalyse d’un personnage aux pseudonymes multiples (Ajar) qui n’arrive pas à se débarrasser de son supposé père littéraire, un certain Tonton Macoute (Gary), malgré les bons avis du Dr Christianssen (Gary ? Ajar ?). Voilà un dialogue entre le père et le fils putatifs dans lequel l’écrivain passe à un autre niveau de sens faussement prosaïque :
« – Je ne me souviens plus si tu as pensé à garder les droits cinématographiques.
– Oui, sur tes conseils, papa chéri.
– Je t’ai déjà demandé de ne pas m’appeler papa, putain de merde, le vocabulaire bidon-freudien, il y en a marre.
– Je suis quand même un peu ton fils spirituel, non ? Avec traces d’influence…
– Je t’emmerde. […]
– Enfin, j’ai gardé les droits. Le pognon, c’est le cinéma.
– Tu penses trop au pognon.
– Moi ?
– Oui, toi. Quand on pense tout le temps contre le pognon, on pense vraiment beaucoup trop au pognon.
– La dialectique, je connais. Mais j’ai assuré le coup.
– Ca veut dire quoi ?
– Je vais faire une donation.
– A qui ?
– Au comité pour l’Aide et le Soutien aux putes. Aux prostituées, comme ils disent. Je vais consulter Ulla, notre mère à tous, Jackie, Sonia et quelques autres. Je vais même créer un fonds de lutte pour la Défense, l’Encouragement et l’Illustration des Putes de France, avec avocats-conseils et dix pour cent de mes droits d’auteur par tête de pipe. Quelque chose de vraiment représentatif. Nos saintes mères et soeurs les putes sont ce qu’il y a aujourd’hui de moins pseudo. La pute est encore ce qu’il y a de plus authentique. C’est pourquoi tout ce qui est bidon est contre. Cachez mon sein que je ne saurais voir. On les persécute parce qu’elles disent la vérité avec leur cul, là où la vérité s’est réfugiée, là où elle est encore à peu près intacte. Les putes sont tellement représentatives qu’elles n’ont même pas le droit de se présenter aux élections. C’est pour ça qu’il n’y en a pas, au Parlement, tu comprends. […] A propos, j’ai oublié de te dire que dans l’article du Point, lundi prochain, ils ont ajouté ton nom à celui d’Aragon et de Queneau comme mon auteur putatif.
– Tu me dis ça à propos de quoi ?
– Comment, à propos de quoi ? A propos de putes*. »
Dernier sens qui nous évite d’avoir un jugement sur les putes hâtif ! Contrairement à ceux qui font pseudo-pseudo et qui ont droit de cité, contrairement aux courtisanes d’Eyes Wide Shut (qui finissent mal de toute façon), les prostituées ne portent pas de masque. Elles sont ce qu’elles sont. Contrairement à tous les acteurs de la comédie sociale, elles ne sont pas putatives, c’est-à-dire « réputées pour être ce qu’elle ne sont pas ». C’est ainsi que Romain Gary nous renvoie au sens originel de « putatif », à une étymologie philosophique de véritable Péripatéticien.
*Pseudo, Romain Gary (Emile Ajar), Folio, p.186-188