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Continuons notre semaine du théâtre russe avec une autre pièce de Tchekhov, qu’il a pondue, ce génie précoce, à l’âge de 18 ans ! Il s’agit de Platonov, qu’on a parfois traduit en français par Ce fou de Platonov.
Dans l’ennui estival de la campagne russe fin XIXème, il est un instituteur sublime qui attire hommes et femmes comme les lampadaires attirent les insectes : la séduisante veuve Anna Petrovna, Sofia, Grekova… Même les maris et les amoureux éconduits par la veuve s’en font un totem. Il a beaucoup d’allure, il parle bien. Chacun cherche à trouver un peu d’ailleurs auprès de cet homme, qui paraît avoir un supplément d’âme.
Grekova : Vous m’aimez ?Platonov : Pas le moins du monde, ma beauté ! Mais j’aime les petites folles ! Quand je n’ai rien de mieux à faire !
Pourtant, Platonov est « un Dom Juan doublé d’un lâche ». Un cynique qui se repent aussitôt de détruire les idiotes et les idiots qui se jettent dans ses bras. Un salaud incapable de vivre, incapable de choisir (« Hamlet avait peur de rêver, moi j’ai peur de mourir ») et qui cherche à s’aliéner. C’est un dépressif lourd qui se noie dans l’alcool et les nouveautés de l’été et dont les fredaines retombent lourdement dans l’aboulie et le nihilisme. Contamination lente et fatale… Tout le monde vient s’écraser contre le globe de son noble front et se retrouve face à son vide. Platonov murmure que « tout est vil, immoral et sale dans ce monde » et le Vieux Glagolaïev sombre avec lui :
Assez de comédie. Plus d’idéal. Je n’ai plus ni foi ni amour.
Attention, cependant ! Tous les personnages de cette Russie déliquescente qui pue l’oisiveté et l’enlisement bourgeois sont drôles, animés par un désespoir joyeux. Nicolas Triletzski, le médecin de campagne, que Platonov (lui-même) traite de canaille répond ainsi : « Le Bon Dieu m’a fait comme cela. Il sait sûrement ce qu’il fait. » Anna s’écrie : « Quand on boit, on meurt, dit-on. Mais si l’on ne boit pas, on meurt aussi. Alors il est sûrement plus agréable de boire et de mourir. » Ossip, la brute domestiquée qui aime cette dernière déclare : « Si vous m’aviez demandé de me manger moi-même, je l’aurais fait ! » C’est un carnaval de mouton de Panurge qui dansent avant de se précipiter dans une mer de nuages !
L’adaptation proposée par le Collectif Les Possédés au Théâtre de la Colline ne l’a pas oublié. En revanche, la troupe a oublié qu’il ne servait à rien de jouer deux fois le comique, autrement on assiste à un mauvais boulevard. Les personnages ont été peu fouillés, présentent peu de cohérence (sauf pour Nicolas Triletzki et Kyril Glagolaïev, qui jouent simplement leur rôle). La distribution est catastrophique en ce qui concerne Platonov et Sofia. Le comédien ne correspond physiquement pas au premier rôle. Il n’a rien de charismatique. Il joue sans profondeur (il a réussi à massacrer cette phrase géniale : « vous êtes comme l’été au mois de juin, vous avez la vie devant vous ») une sorte de Rectotonov. La comédienne étrangère qui interprète Sofia semble sortie d’un film de science-fiction tant sa diction et ses mouvements sont robotiques. Grekova ne fait que secouer ses pattes d’araignée comme un bègue essaie de dominer son handicap… Le décor est affreux (mais c’est une question de goût). L’espace est mal utilisé (sauf pour la scène des feux d’artifice); la lumière ne l’est pas du tout. Le 1er acte est superflu et on se demande pourquoi on revient après l’entracte tant la fin est ratée. Certaines coupes dans le texte sont ahurissantes. L’accompagnement musical est parfois mal choisi. Enfin, les comédiens assis au bord du plateau comme des corps morts sur la vase et les changements de décor à vue achèvent de nous sortir de l’illusion théâtrale. Seule la scène de séduction d’Anna (Emmanuelle Devos) fonctionne bien. Plutobof… Et tout le monde applaudit… C’est peut-être assez réussi finalement ? Car j’ai une sacrée sensation de vide.
A suivre : Le Revizor de Gogol au Lucernaire…