La Compagnie Affable

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Confessions of an actor de Laurence Olivier

Laurence Olivier HamletComme il est utile de se plonger dans les mémoires d’un comédien de génie qui a passé sa vie au service de son art ! Mon but n’est pas ici de résumer la vie de ce monstre sacré du XXème siècle mais plutôt d’extraire la substantifique moelle des pensées qui peuvent servir un jeune comédien. Entamons ce petit digest des Confessions de Lord Olivier par un passage du livre qui devrait inspirer un profond respect mêlé de crainte aux jeunes gens qui cherchent à monter sur les planches :

Work is life for me, it is the only point in life; and with it the almost religious belief that service is everything. (Pour moi, le travail, c’est la vie, la seule raison d’être. J’y ajouterais la croyance presque religieuse que le service représente tout.)

Et je crois qu’almost est seulement présent dans cette phrase parce que Laurence Olivier est le fils d’un pasteur… Car ce qu’il confesse dans ce livre c’est que son vrai Dieu est William Shakespeare. Il rencontre le Barde céleste à l’école, où il interprète Brutus dans Julius Caesar, du haut de ses 10 ans, et devient son plus fervent ministre. Le théâtre est le sacerdoce qu’il a choisi et son père ne cherche pas à décourager cette vocation. Au contraire, il la comprend trop bien et l’encourage. Le Père Olivier ne manifeste aucune surprise quand son fils revient de l’audition d’entrée à la Central School of Speech Training and Dramatic Art avec la bourse qu’il avait exigée comme condition sine qua non.

C’est dans cette nouvelle école qu’a lieu une rencontre incroyable. Le jeune Laurence assiste à une conférence de Jacques Copeau, en français. Il ne maîtrise pas très bien notre langue et s’assoupit lorsqu’une phrase semble provoquer l’assentiment général de ses camarades. Copeau répète en anglais pour être sûr que tout le monde comprenne :

There is only one way to begin to do a thing and that is to do it.

L’acteur de théâtre infatigable – acteur de cinéma (50 films au compteur) – metteur en scène – réalisateur et directeur de théâtre n’a jamais oublié cette leçon ! Au passage, je voudrais préciser qu’en anglais, actor s’emploie indifféremment pour le théâtre et le cinéma. Il n’y a pas, comme en France, de distinction plus ou moins acceptée entre le comédien, qui joue sur une scène de théâtre, et l’acteur, qui joue sur un plateau de cinéma (comedian est un faux ami, qui désigne un acteur comique, qu’il joue au théâtre, au cinéma, ou à la télé). Et voilà justement ce que nous dit Laurence Olivier à propos de la différence entre le théâtre et le cinéma :

At that time (1932), stage-acting and film-acting were thought of as two entirely different crafts, even professions. We know now that this is not by any means a true assessment; the truth is infinitely subtler. They call for the same ingredients but in different proportions. The precise differences may take some years of puzzling work to appreciate; in each case there are many subtle variations according to the character of the actor. It took me many years to learn to film-act; at least ten of these were appalingly rough and ready, from sheer prejudice and ignorance. After that, it was necessary to relearn how to act on stage, incorporating, though, the truth demanded by the cinema and thereby reducing the mesure of theatricality.

L’avantage du cinéma est qu’il permet de gommer une certaine fausse théâtralité, qui ne répond pas à des conventions esthétiques nécessaires. Il suffit de voir Laurence Olivier dans quelques extraits de films pour comprendre la nature de ce dosage subtil entre naturalisme et théâtralité (l’interview est très intéressante) :

Quant aux conventions esthétiques, l’acteur évoque ses différends avec une bonne partie de la critique ou des comédiens éminents comme John Gielguld (avec qui il alterne le rôle de Roméo en 1935) à propos de la diction des vers :

I had been judged inadequate in the speaking of the verse, and so incompetent for Shakespeare. From my earliest school performance I had been taught the way I still feel verse should be handled, namely to speak it as if that is the way you speak it naturally.

Je suis entièrement d’accord avec lui, d’autant que c’est exactement ce que dit Shakespeare dans la bouche d’Hamlet quand il s’adresse aux comédiens venus donner une pièce au château d’Elsinor. Il n’y a rien de plus affligeant qu’un comédien qui enfile les vers comme les perles ou qui braille comme un crieur de ville !

Voilà maintenant ce qui constitue pour moi son conseil personnel aux acteurs le plus profitable :

By changing one feature, you can create a whole new face.

C’est son premier professeur Elsie Fogerty qui détecte chez lui une « faiblesse » quasi-invisible, une marque discrète de timidité dans le regard. Cette prise de conscience pousse le comédien à recourir à des prothèses nasales (on se souviendra longtemps de son Richard III), à des faux sourcils (dans The Entertainer, son personnage de music-hall retire des faux sourcils après chaque show), à une moustache (c’est ainsi qu’il résout un problème d’autorité sur le plateau dans Sleuth…), à des fausses dents et des fausses gencives (pour jouer Shylock)… afin de créer une distance protectrice avec son personnage.

It seems almost too simple, well it is.

Attention, rien à voir avec l’école de Lee Strasberg et la méthode Actor’s Studio qui met trop souvent la technique de côté. Laurence Olivier considère que c’est un dévoiement dangereux de Stanislavski, qui incline à en faire une lecture trop littérale. Il dit de Strasberg :

He was the revivalist minister of pure naturalism. The phrase ‘natural behaviourism’ would have a different meaning dialectically and, to some of us, would lend that redeeming mite more technicality.

Laurence Olivier OthelloL’acteur britannique refuse d’attraper un cancer pour pouvoir en jouer un (cf. les changements physiques suicidaires de Christian Bale, qui a perdu 27 kilos et s’est infligé une terrible privation sommeil pour interpréter The Machinist) et préfère s’abriter derrière les artifices de la technique. Cependant, il n’hésite pas à travailler des transformations physiques quand le rôle l’exige. Pour Othello, s’il se peint naturellement en noir, il travaille aussi sa voix par des exercices de respiration profonde pendant des mois pour obtenir quelques notes de plus dans les graves. Le résultat est sidérant.

On glane ça et là des réflexions amusantes sur le métier. Ici, il cite Noël Coward, grand homme de théâtre, à propos du métier de metteur en scène :

The only real use of a director is to stop the actors from bumping into each other.

Plus loin, il cite les instructions du patron du Daily Express à ses critiques de spectacles :

Make a star or break a star, I’m not interested in anything in between.

Je retiens également un commentaire intéressant sur l’intraduisibilité de certaines œuvres d’une langue à l’autre. Il prend comme exemple une scène de Roméo et Jeannette de Jean Anouilh, dans laquelle un mari dit plusieurs « Je suis cocu ». Impossible de traduire par cuckhold, le terme est très peu employé en anglais, pas de parfait équivalent. Il va falloir adapter (« traduire c’est choisir » dit André Markowicz) le passage, qui en perd sa substance comique originelle (« traduire c’est perdre », dis-je).

Quand on lui demande quelles sont les qualités d’un bon acteur, il répond :

Talent, luck and stamina (Le talent, la chance et l’énergie)

Jean-Laurent Cochet aimait nous répéter « Santé – Audace – Mémoire » (je crois qu’un de ses maîtres avait appelé son chien SAM pour cette raison). Ce qui revient dans les deux (le talent ça ne se travaille pas, et la chance, ça se provoque avec un peu d’audace), c’est l’importance cardinale de la santé. Et l’acteur vieillissant, plusieurs fois touché par la maladie (d’abord chez son ex-femme, Vivien Leigh, qui développe des symptômes bipolaires), prévient que, passé soixante ans, il faut se résoudre à la défaillance et à la baisse inéluctable de la productivité. Il parle finalement du lourd tribut de vitalité qu’il a payé à son art et en fait la cause d’une indisponibilité charnelle qui a sûrement fait souffrir Vivien Leigh puis sa dernière épouse Joan Plowright.

« Ils ne se rendent pas compte que c’est ma vie que je leur donne », disait grosso modo cette grande comédienne dont j’ai oublié le nom (dit-il en toussant, Santé-Audace-Mémoire !)… Voilà peut-être pourquoi le pasteur Olivier a laissé son fils devenir acteur. Sans doute savait-il que le théâtre était une religion, dont l’ascèse rituelle ne laisse plus beaucoup de places pour les autres tentations !

Enfin, je voudrais terminer par une citation d’Aristote, que Laurence Olivier utilise pour présenter au National Theatre, temple public dont il est le premier directeur de 1963 à 1973, une pièce qui suscite la controverse :

It is to be remembered that there is not the same kind of correctness in poetry as in politics. (La correction n’est pas de même nature en poétique et en politique)

Du grain à moudre en ces heures troublées de terrorisme intellectuel, de terrorisme tout court et d’auto-censure…

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