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LE ROI
Tout va de mal en pis…Tout!
Aux courtisans, avec un signe de tête.
Messieurs, Dieu vous garde!
Il se jette dans un grand fauteuil et soupire profondément.
Ah!… j’ai bien mal dormi, monsieur de Bellegarde!
LE DUC, s’avançant avec trois profondes révérences
Mais, sire, on ne dort plus maintenant.
LE ROI, vivement
N’est-ce pas?
Tant l’état marche au gouffre et se hâte à grands pas!
LE DUC
Ah, sire! il est guidé d’une main forte et large…
LE ROI
Oui, le cardinal-duc porte une lourde charge!
LE DUC
Sire !…
LE ROI
A ses vieilles mains je devrais l’épargner.
Mais, duc, – j’ai bien assez de vivre, sans régner!
LE DUC
Sire,… le cardinal n’est pas vieux…
LE ROI
Bellegarde!
Franchement, – nul ici n’écoute et ne regarde, –
Que pensez-vous de lui?
LE DUC
De qui, sire?
LE ROI
De lui.
LE DUC
De l’éminence?
LE ROI
Hé! oui.
LE DUC
Mon regard ébloui
Peut se fixer à peine…
LE ROI
Est-ce votre franchise?
Regardant autour de lui.
Pourtant point d’éminence ici, – rouge ni grise!
Pas d’espion! Parlez, que craignez-vous? Le roi
Veut votre avis tout franc sur le cardinal.
LE DUC
Quoi!
Tout franc, sire?
LE ROI
Tout franc.
LE DUC, hardiment
Eh bien ! C’est un grand homme.
LE ROI
Au besoin, n’est-ce pas, vous l’iriez dire à Rome?
Entendez-vous? L’état souffre, entendez-vous bien?
Entre lui qui fait tout, et moi qui ne suis rien.
LE DUC
Ah !…
LE ROI
Règle-t-il pas tout, paix, guerre, états, finances?
Fait-il pas lois, édits, mandements, ordonnances?
Il est roi, dis-je! Il a dissous par trahison
La ligue catholique; il frappe la maison
D’Autriche, qui me veut du bien, dont est la reine.
LE DUC
Sire! il vous laisse faire au Louvre une garenne.
Vous avez votre part!
LE ROI
Avec le Danemark
Il intrigue!
LE DUC
Il vous a laissé fixer le marc
De l’argent aux joailliers.
LE ROI, dont l’humeur augmente
A Rome il fait la guerre!
LE DUC
Il vous a laissé seul rendre un édit naguère
Qui défend qu’un bourgeois, quand même il le voudrait,
Mange plus d’un écu par tête au cabaret.
LE ROI
Et tous les beaux traités qu’il arrange en cachette!
LE DUC
Et votre rendez-vous de chasse à la Planchette?
LE ROI
Lui seul fait tout. Vers lui requêtes et placets
Se précipitent. Moi, je suis pour les français
Une ombre. En est-il un qui pour ce qu’il désire
Vienne à moi?
LE DUC
Quand on a les écrouelles, sire!
La colère du roi va croissant.
LE ROI
Il veut donner mon ordre à monsieur de Lyon,
Son frère; mais non pas, j’entre en rébellion!
LE DUC
Mais…
LE ROI
On m’a dégoûté des siens.
LE DUC
Sire, l’envie!
LE ROI
Sa nièce Combalet mène une belle vie!
LE DUC
La médisance!…
LE ROI
Il a deux cents gardes à pié.
LE DUC
Mais il n’en a que cent à cheval.
LE ROI
C’est pitié!
LE DUC
Sire, il sauve la France.
LE ROI
Oui, duc? – Il perd mon âme!
D’un bras, il fait la guerre à nos païens, l’infâme!
De l’autre, il signe un pacte aux huguenots suédois.
Bas à l’oreille de Bellegarde.
Puis, si j’osais compter les têtes sur mes doigts,
Les têtes qu’il a fait tomber en Grève! Toutes
De mes amis! Sa pourpre est faite avec des gouttes
De leur sang! et c’est lui qui m’habille de deuil!
LE DUC
Traite-t-il mieux les siens? Epargna-t-il Saint-Preuil?
LE ROI
S’il a pour ceux qu’il aime une tendresse amère,
Certe, il m’aime ardemment!
Brusquement, après un silence, en croisant les bras
Il m’exile ma mère!
LE DUC
Mais, sire, il croit toujours agir à vos souhaits,
Il est fidèle, sûr, dévoué…
LE ROI
Je le hais!
Il me gêne, il m’opprime! et je ne suis ni maître,
Ni libre, moi qui suis quelque chose peut-être.
A force de marcher à pas si lourds sur moi,
Craint-il pas à la fin de réveiller le roi?
Car près de moi, chétif, si grande qu’elle brille,
Sa fortune à mon souffle incessamment vacille,
Et tout s’écroulerait si, disant un seul mot,
Ce que je veux tout bas, je le voulais tout haut!
Un silence.
Cet homme fait le bon mauvais, le mauvais pire.
Comme le roi, l’état, déjà malade, empire.
Cardinal au dehors, cardinal au dedans,
Le roi jamais! Il mord l’Autriche à belles dents,
Laisse prendre à qui veut mes vaisseaux dans le golfe
De Gascogne, me ligue avec Gustave-Adolphe…
Que sais-je?… Il est partout comme l’âme du roi,
Emplissant mon royaume, et ma famille, et moi!
Ah! je suis bien à plaindre!
Allant à la fenêtre.
Et toujours de la pluie!
LE DUC
Votre majesté donc souffre bien?
LE ROI
Je m’ennuie.
Un silence.
Moi, le premier de France, en être le dernier!
Je changerais mon sort au sort d’un braconnier.
Oh! chasser tout le jour en vos allures franches
N’avoir rien qui vous gêne, et dormir sous les branches!
Rire des gens du roi! chanter pendant l’éclair,
Et vivre libre aux bois, comme l’oiseau dans l’air!
Le manant est du moins maître et roi dans son bouge.
Mais toujours sous les yeux avoir cet homme rouge,
Toujours là, grave et dur, me disant à loisir:
« Sire! il faut que ceci soit votre bon plaisir! »
Dérision! cet homme au peuple me dérobe.
Comme on fait d’un enfant, il me met dans sa robe,
Et quand un passant dit: Qu’est-ce donc que je voi
Dessous le cardinal? on répond: C’est le roi!
Puis ce sont tous les jours quelques nouvelles listes.
Hier des huguenots, aujourd’hui des duellistes,
Dont il lui faut la tête. Un duel! le grand forfait!
Mais des têtes toujours! Qu’est-ce donc qu’il en fait?*
*Victor Hugo, Marion de Lorme, Acte IV, scène 6. Cet extrait est mis à votre disposition pour vous aider à choisir une scène, n’oubliez pas qu’il est impossible de travailler sans l’oeuvre intégrale ! Voir notre liste complète de scènes de théâtre pour une audition (ou pour l’amour du travail)