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Le Juge et l’assassin s’inspire de l’histoire de Joseph Vacher, un tueur en série surnommé « le Jack l’Eventreur du Sud-Est », qui perpétra ses crimes à la fin du XIXème siècle. C’est Michel Galabru qui incarne ce déséquilibré (Bertrand Tavernier choisit l’alias Joseph Bouvier), rôle pour lequel il reçoit le César du Meilleur Acteur en 1977. Le film critique avec malice la société française de l’époque :
La mère du Juge est chargée de lister les crimes commis par le tueur recherché.
LA MÈRE DU JUGE : Euh, vaste plaie au sternum, éventrée à coups de serpe… Euh… A St-Marcel du Bon-Accueil… Oh, c’est tout près d’ici ! Le 14 décembre 95, un jeune garçon de 13 ans, éventration, sodomie probable… […] 13 mars 96 : une bergère éventrée près de Lourdes… Oh mon Dieu… !
VILLEDIEU (Jean-Claude Brialy) : C’est pire que les autres… ?
LA MÈRE DU JUGE : Non mais… près de Lourdes…
VILLEDIEU : Je viens de lire chez un auteur qui n’est pas de nos amis…
LE JUGE (Philippe Noiret) : Zola.
VILLEDIEU : Non, Mirbeau.
LE JUGE : Ça ne vaut guère mieux.
VILLEDIEU : Il dit des choses très intéressantes sur la notion de meurtre. Il dit que nous sommes tous des meurtriers ; au moins, en puissance. Et ce besoin de meurtre nous le canalisons par des moyens légaux : l’industrie, le commerce colonial, la guerre, l’antisémitisme… Moi j’ai choisi l’antisémitisme. D’abord, parce que ça n’est pas dangereux, c’est à la mode, et puis, c’est béni par l’Eglise.
LA MERE DU JUGE : Ca ne t’ennuie pas de l’emporter ?
LE JUGE : Non non, non non ! Non pourquoi… ?
LA MERE DU JUGE : Un magistrat avec un bocal de cerises…
LE JUGE : Ah ! Oui, et bien je prendrais des rues peu fréquentées, hein !
ROSE (Isabelle Huppert) : Le docteur a dit qu’il savait pas ce qu’elle avait, et qu’il fallait qu’elle soit gardée.
LE JUGE : Mais elle est gardée ! Tu la gardes, c’est ton travail, c’est pour ça que je t’ai retirée de la fabrique. J’espère que tu ne le regrettes pas ?
ROSE : J’avais beaucoup d’amies.
LE JUGE : Des fabriqueuses… C’est un mot qui pour beaucoup veut dire putains.
ROSE : Non. Qui veut dire ouvrières. Des ouvrières qui travaillent 12 heures par jour pour 2 francs par jour et 7 jours par semaine.
LE JUGE : Ma pauvre Rose, il était temps que j’te tire de là.
Quant au personnage de Bouvier campé par Michel Galabru, il est difficile d’affirmer la pleine responsabilité de ses crimes. Tantôt fou furieux, tantôt paysan rusé défenseur des pauvres, tantôt « anarchiste de Dieu » grandiloquent…
La scène se passe devant une « fontaine miraculeuse ».
L’INSTITUTRICE : Voulez-vous laisser ça !
BOUVIER : On ne parle pas comme ça à Jésus-Christ fils de Dieu ! Elle ne vaut rien cette eau-là ! Même le chien n’en veut pas ! C’est encore trop bien pour vous sales petites putes ! Vous avez de beaux p’tits culs, mais c’est les bourgeois qui en profiteront ! Et Bouvier, macache, bono, bezef !
LE JUGE : Ecoutez Bouvier, les juges d’instruction sont obligés de faire raconter aux inculpés tout des circonstances des crimes qu’ils ont avoués ! C’est la loi, je n’y peux rien, saperlipopette ! Enfin, voyons, soyez raisonnable, aidez-moi…
BOUVIER : Alors, à une condition : c’est que ma lettre paraisse dans trois journaux, avec mon portrait. Je veux que l’opinion sache tout de suite que j’ai été mordu par un chien enragé à l’âge de 16 ans, que mon sang a été vicié par les remèdes qu’on m’a donnés et, ensuite, par les mauvais traitements de l’asile de Dole, asile de destruction et de mort ! Ce qui explique toutes les bêtises que j’ai faites. Quand vous me montrerez les journaux avec ma lettre dedans, alors, par amitié pour vous, parce que vous êtes loyal et humain, je vous dirai tout. Sinon, macache, bono, bézef !