Textes & Scènes de Théâtre / Dialogues de Cinéma / Séries / Littérature / Philo / Poésie…
Quand on est couché sur le divan bas
Devant la fenêtre,
C’est délicieux, car on ne sait pas
Où l’on peut bien être.
Mollement couché, des coussins au dos,
On goûte une joie :
On ne voit plus rien entre les rideaux,
Que le ciel de soie !
Dès qu’on est debout, on revoit la cour
De zinc et d’asphalte.
Tout ce qui, soudain, quand le rêve court.
Vient lui dire : « Halte ! »
L’envers des maisons, luxe à prix réduit,
Gaz et tuyautages,
Et l’affreux vitrail qui se reproduit
A tous les étages !
Dès qu’on est debout, on voit brusquement
Tout ça reparaître.
On s’étend : plus rien que du firmament
Dans une fenêtre.
C’est pourquoi, souvent, quand je me sens las
De vulgaire vie,
Durant tout un jour, sur le divan bas,
Je rêve et j’oublie.
Et j’aime rester immobile sur
Le vieux divan rouge.
Sachant qu’on détruit le carré d’azur
Aussitôt qu’on bouge.
Et je n’aperçois que du bleu, du bleu,
Du bleu dans la baie ;
Le soleil y vient, une heure, au milieu,
Faire sa flambée ;
Oh ! ne pas bouger ! ne pas faire un pas
Vers cette fenêtre !
Croire que la cour affreuse n’est pas
Et ne peut pas être !
Oh ! dire au tableau : « Je ne te permets
Que ce qui s’étoile ! »
Se placer toujours pour ne voir jamais
Le bas de la toile !
Ce serait trop beau ! — Ne pas lire tout.
Choisir dans le livre ! —
Mais on ne peut pas ! Sans être debout.
On ne peut pas vivre !
Ce qu’il faut pouvoir, ce qu’il faut savoir.
C’est garder son rêve ;
C’est se faire un ciel qu’on puisse encor voir
Lorsque l’on se lève ;
C’est avoir des yeux qui, voyant le laid,
Voient le beau quand même;
C’est savoir rester, parmi ce qu’on hait,
Avec ce qu’on aime !
« Le Divan », Edmond Rosand, Les Musardises (1911).