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Ce mercredi 31 mai, le cours d’art dramatique parisien Le Foyer organisait une nouvelle rencontre théâtrale au Trévise. Cette fois, c’est le metteur en scène Ladislas Chollat (Molière du metteur en scène pour Le Père en 2014 et pour Les Cartes du pouvoir en 2015) qui s’est transformé en professeur le temps d’une matinée. Avant de diriger les élèves-comédiens dans des scènes de travail, il est revenu sur sa carrière dans une interview animée par Jean-Laurent Silvi, un des professeurs du cours. Sweat gris Marathon Man, baskets dorées, cheveux ras et mine affable, tout dans le look du regisseur (comme on dit en allemand) semble annoncer la première question de l’entretien :
J-L.S : Bonjour Stanislas. Tu as la réputation d’être un des metteurs en scène les plus sympas du métier, est-ce que c’est vrai ?
L.C : Souvent on me dit : « t’es franc maçon, toi ! » (Rires) Mais non… Je fais un métier joyeux. C’est sûrement pour ça que j’ai jamais été un tortionnaire. Quand j’en arrive à gueuler, pour moi c’est un échec. Je gueule seulement une fois par an.
J-L.S : Comment tu définis le rôle du metteur en scène ?
L.C : C’est un métier de partage et d’échange. Le metteur en scène n’a pas toujours raison. Pendant un temps, je demande à mes acteurs de me laisser faire, puis, quand j’ai ma structure, je leur dis « rebellez-vous ! ». Si leurs idées sont meilleures, je cède, et sinon, je ne lâche pas. L’acteur doit être un acteur participant, pas un perroquet. Et il faut que le metteur en scène arrive ouvert, naïf, comme le spectateur. Avant je préparais tout. Oui, parce qu’on ne parle jamais du trac du metteur en scène, mais croyez-moi ça existe. Je suis hyper traqueux, je me demande toujours « qu’est-ce que je vais leur dire ? », « est-ce que je vais savoir leur parler… ? » Et puis j’ai appris à faire confiance à mon instinct. Je travaille très vite. Je suis pas du tout un intello, je suis un animal.
J-L.S : Tu as toujours voulu être dans le théâtre ?
L.C : J’ai joué la comédie très jeune. Et sans être allé une fois de ma vie au théâtre. Pour les premiers spectacles que j’ai créés au collège, je trouvais l’inspiration sur les photos des éditions scolaires Larousse ou dans L’Avant-Scène… Je me trouvais très mauvais acteur, je me tenais mal, et je voyais que ça… Je crois que c’est comme ça que je me suis mis à diriger mes camarades.
L.C : Qu’est-ce t’a apporté ta rencontre avec Gildas Bourdet (ndlr : autre metteur en scène moliérisé) ?
J-L.S : Il m’a appris mon métier. Avant de le rencontrer, je n’avais joué mes pièces que dans des théâtres amateurs. A l’époque, j’envoyais des billets de théâtre en bois, aux journalistes, un an à l’avance, et comme ils ne pouvaient pas s’en débarrasser, du coup, ils se souvenaient de moi. C’est comme ça que Gildas s’est retrouvé à l’un de mes spectacles. Il ne l’a pas du tout aimé d’ailleurs, mais il y a vu quelque chose et il m’a pris comme assistant. Je vous souhaite tous de rencontrer quelqu’un qui vous dira : « je te fais confiance ».
J-L.S : Est-ce que tu as trouvé plus de liberté dans le théâtre public ?
L.C : J’ai travaillé 7 ans dans le public avant de bosser dans le privé. Et pour moi, cette histoire de public/privé, c’est de la connerie. Aujourd’hui, je peux créer ce que je veux dans le privé. Il faut simplement choisir le théâtre adapté. Si c’est un grand théâtre, il faudra sûrement une vedette pour attirer suffisamment de spectateurs. Et s’il s’agit d’un projet plus risqué, on peut le monter dans un théâtre plus petit. De toute manière, je choisis toujours les artistes avec qui je travaille.
J-L.S : À quoi sert le théâtre ?
L.C : À s’extraire du monde, à prendre de la hauteur, à créer une bulle, à oublier sa vie… A ne pas s’ennuyer. « Le diable c’est l’ennui », comme dit Peter Brook. Une œuvre me remet toujours en question. J’essaie d’aller vers des choses que je ne sais pas faire. J’aime ce vertige. Pour chaque création, la moitié de la distribution est renouvelée. Je m’impose ça pour me remettre en question. Je suis pas fait pour la troupe. Ça me sclérose. J’aime voir des gens qui ont des personnalités, des gens qui existent. Parfois, dans des spectacles, je ne vois que l’œuvre du metteur en scène. Ce théâtre-là ne m’intéresse pas. Ce qui m’intéresse c’est que les acteurs prennent mes notes à leur compte. Quand un spectacle réussit c’est que j’ai disparu. La star, c’est l’auteur; le carburant, c’est le texte. Et l’objectif du théâtre est de refléter la vie.
Robert Hirsch dans Le Père
J-L.S : Comment s’est passée ta collaboration avec Robert Hirsch pour Le Père ?
L.C : C’est pas fini ! On va reprendre. À 92 ans, Robert Hirsch va retourner sur scène ! C’est un très grand acteur, avec un gros caractère, mais c’est facile de travailler avec lui car il n’intellectualise pas les choses, c’est un animal comme moi. En plus de cela, c’est un vrai métronome. Il vous met toute la troupe au diapason !
J-L.S : Qu’est-ce qui est différent avec la comédie musicale ?
L.C : C’est Fame ! (Rires) Tous ces corps de métier différents, danseurs, chanteurs… Toute cette énergie, c’est électrisant ! Et la musique est une source d’inspiration immense. Mais c’est aussi épuisant ! C’est vraiment comme monter 3 spectacles en même temps !
J-L.S : Tu as un conseil pour les élèves, pour leur carrière ?
L.C : Soyez amoureux ! Et trouvez quelqu’un qui soit un pilier dans votre vie. Faites des enfants. Entourez-vous de gens bienveillants, chassez les pessimistes. Entourez de gens qui vous diront la vérité aussi. Et dites-vous : « j’y vais sans compter ! ». Dites-vous aussi qu’il ne faut pas faire ce métier pour l’argent, mais pour le texte, pour les histoires qu’on veut raconter, et toutes les choses qu’on rêve de partager. Oui, je sais, ça fait beaucoup de conseils ! (Rires)
– 1ère scène : Antigone – La Nourrice dans Antigone d’Anouilh
Les élèves donnent un premier jet de la scène. Ladislas Chollet intervient et fait un point sur la situation. Vous jouez pas ensemble. On va chercher quelque chose de plus concret… D’où elle vient Antigone ? Elle revient d’avoir enterré son frère. Vous avez déjà creusé un trou ? Elle est pleine de terre, elle est dégueulasse ! Raccrochez-vous à cette provenance bien concrète, physique, et forcément vous allez connecter. (à La Nourrice, restée seule sur le plateau pour le début de la scène.) Et on va faire durer votre inquiétude un peu plus en la faisant un peu moins continue. Faites du vide, laissez de l’espace, créez des ruptures, pour que le spectateur puisse rentrer dans votre histoire… C’est le petit matin, il fait froid, c’est concret ça… Est-ce qu’elle est là ? Elle est pas là. Allez chercher ailleurs… (à Antigone, qui est entrée.) Regarde-la, fais la vivre, elle existe cette Nourrice… […] (à La Nourrice) La Nourrice, est inquiète, et elle s’en veut de l’avoir laissé sortir. Il y a plusieurs choses dans sa tension. Elle essaie probablement de réparer son erreur et de la nettoyer. C’es quelqu’un d’actif, dans le concret, elle est terre-à-terre; contrairement à Antigone, qui est rêveuse. Un indice : elle n’entend pas Antigone. Essayez, inventez-moi ça. (Elles reprennent, nouvelle interruption.) Soyez concrète ! Lavez-lui les pieds ! […] Engueulez-la plus fort ! C’est une princesse, elle a pas à sortir ! […] Anouilh ramène de l’humour dans la tragédie avec des personnages très concrets, face aux héros avec leurs grands problèmes. Il faut jouer ça.
– 2ème scène : Hermione-Oreste dans Andromaque de Racine (Acte IV, scène 3)
Les élèves donnent un premier jet de la scène. Ladislas Chollet intervient et fait un point sur la situation. Il n’y a rien de charnel dans ce que vous jouez. Vos corps ne travaillent pas. C’est pas parce que c’est Racine, qu’on n’a pas le droit de se toucher. Oreste est plein de désir. Hermione s’apprête à tuer quelqu’un de ses mains. Elle boue de colère. Pyrrhus l’a trahi, il a choisi Andromaque. Ce qui est intéressant c’est cette opposition des caractères. Oreste s’attend à trouver une amoureuse et il trouve une femme terriblement en colère. Jusqu’à présent elle hésite, et là, elle vient de décider qu’elle va l’utiliser. Peut-être qu’elle le touche… Il y a de la sensualité ! …Vous allez voir, ça va être hot ! (Rires)
(A Oreste, qui entre en scène. ) Regarde-la quand tu entres, elle est sublime, elle est belle… Elle a un parfum dingue, tu adores l’odeur de sa peau… […] Tu dis tout de la même façon. C’est pas de la littérature, c’est concret ! […] Cette femme t’a attrapé la chemise ! (Rires.) Tu adores ça ! […] (Aux deux.) Les corps se rapprochent, il y a de la pudeur, c’est normal, mais oubliez-la ! (Pyrrhus vient se placer derrière Hermione, et lui pose la main sur le ventre. Hermione se dégage.) T’es pas obligée de marcher en crabe parce que c’est la tragédie grecque ! (Rires.) Ça peut être plus naturel. Ne soyez pas dans le lyrisme, soyez dans l’action ! Elle est toute à sa rage, elle ne prend pas tout son temps pour lui dire : « va le buter ! ». Vous êtes trop hiératiques, il faut que vos corps existent, que vos sentiments prennent le pas sur le lyrisme des vers. (Il donne des coups ds la poitrine d’Oreste.) […] (A Hermione.) Ton corps dit déjà que tu n’es pas d’accord, laisse-nous la surprise, la possibilité qu’il arrive à te convaincre… [..] Là, tu le rends fou de jalousie, brûle de désir pour Pyrrhus… C’est quand même une vraie salope Hermione ! (Rires) Elle l’observe, elle le manipule, elle excite son désir, elle le pousse au crime… (A Oreste.) Toi ta stratégie c’est de gagner du temps. Tu es impuissant, tu es larve…Remettez de la chair, c’est presque sado-masochiste cette scène ! […]
(A Hermione.) Tu joues quelque chose de trop petit, elle a un énorme problème. Elle suit une double injonction : l’amour et la haine. Et c’est laid, c’est moche, ce qui sort ; c’est de la jalousie. Et de la vengeance. On va reprendre tout depuis le début pour jouer ça. Elle l’adore et elle veut le tuer. Elle est plus tiraillée, plus hagarde que ça… […] (Ils reprennent une dernière fois. Ladislas Chollat conclue.) Hermione est une panthère. C’est animal. Ça se joue plus bas. Ça se joue là, dans le ventre.
– 3ème et dernère scène : Des Pommes pour Ève de Gabriel Arout (d’après Tchekhov)
Les élèves donnent un premier jet de la scène. Ladislas Chollet intervient et fait un point sur la situation. J’ai l’impression que cette scène est une métaphore. Oser prendre cette pomme sur l’arbre c’est aussi oser « croquer la pomme » pour la première fois. Il me manque cette gêne. Vous avez peur du silence. […] Regarde-la. Elle est belle… Amuse-toi à jouer avec les pommes avec un air un peu couillon. (Rires) Et maintenant parle pour sortir de ta gêne. […] Il me semble que ce qui compte dans cette scène, c’est ce qui est derrière le texte. « Les merles, les petits oiseaux… », c’est pas très intéressant. Soyez ensemble dans le désir. […]
Vous êtes trop à l’aise là. Vous n’êtes pas assez embêtés par l’inexpérience, la peur, la gêne.C’est trop simple votre relation, il n’y a pas de conflit. Et quand il n’y a pas de tension, il n’y a pas de théâtre… […] Vexe-toi vraiment… […] Allez chercher plus profond. […] Vous avez perdu votre texte ? C’est que vous êtes ds la scène. […] Pensez rupture. Discontinuité. Il y a toujours plusieurs couleurs. La seule cohérence, c’est votre enveloppe physique. Il y a une fausse légèreté dans cette scène. C’est très joyeux tel que vous la jouez, mais on s’ennuie un peu. Il n’y a pas vraiment de surprise. Essayez de jouer la situation tragique des personnages.
Il faut toujours chercher le drame, c’est là que réside la tension.
Arnaud Denis revient sur la notion de « discontinuité » avant que Ladislas Chollat ne résume ses remarques aux élèves : « Il faut que vos corps existent plus. Vous pensez trop. Il faut lâcher, s’abandonner à un état. Vous contrôlez trop. Soyez dans l’écoute. Et, surtout, n’ayez pas peur des silences. Les silences sont des répliques. Ne remplissez pas tout. »
Voilà quelques recommandations utiles ! Pour voir toutes les photos de la master class et vous tenir au courant des prochaines rencontres du Foyer, vous pouvez suivre le cours sur Facebook. Les élèves proposeront un spectacle le lundi 20 juin 2016 à 20h30 au Théâtre Trévise (Réservation obligatoire à contact@courslefoyer.com).