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Les Femmes savantes : Clitandre – Trissotin (Acte IV, scène 3)

Les Femmes savantes molière théâtre 14 arnaud denis jean-laurent cochet

Mise en scène d’Arnaud Denis (Triestin) au Théâtre 14 avec Jean-Laurent Cochet dans le rôle de Philaminte

Extrait des Femmes savantes de Molière. Scène classique de dispute entre Trissotin et Clitandre. Quatre personnages (deux hommes et deux femmes) sont présents : Trissotin, Armande, Philaminte et Clitandre

ACTE IV, scène 3.

TRISSOTIN : Je viens vous annoncer une grande nouvelle.
Nous l’avons en dormant, Madame, échappé belle:
Un monde près de nous a passé tout du long,
Est chu tout au travers de notre tourbillon;
Et s’il eût en chemin rencontré notre terre,
Elle eût été brisée en morceaux comme verre.

PHILAMINTE : Remettons ce discours pour une autre saison,
Monsieur n’y trouverait ni rime, ni raison;
Il fait profession de chérir l’ignorance,
Et de haïr surtout l’esprit et la science.

CLITANDRE : Cette vérité veut quelque adoucissement.
Je m’explique, Madame, et je hais seulement
La science et l’esprit qui gâtent les personnes.
Ce sont choses de soi qui sont belles et bonnes;
Mais j’aimerais mieux être au rang des ignorants,
Que de me voir savant comme certaines gens.

TRISSOTIN : Pour moi je ne tiens pas, quelque effet qu’on suppose,
Que la science soit pour gâter quelque chose.

CLITANDRE : Et c’est mon sentiment, qu’en faits, comme en propos,
La science est sujette à faire de grands sots.

TRISSOTIN : Le paradoxe est fort.

CLITANDRE : Si les raisons manquaient, je suis sûr qu’en tout cas
Les exemples fameux ne me manqueraient pas.

TRISSOTIN : Vous en pourriez citer qui ne concluraient guère.

CLITANDRE : Je n’irais pas bien loin pour trouver mon affaire.

TRISSOTIN : Pour moi je ne vois pas ces exemples fameux.

CLITANDRE : Moi, je les vois si bien, qu’ils me crèvent les yeux.

TRISSOTIN : J’ai cru jusques ici que c’était l’ignorance
Qui faisait les grands sots, et non pas la science.

CLITANDRE : Vous avez cru fort mal, et je vous suis garant,
Qu’un sot savant est sot plus qu’un sot ignorant.

TRISSOTIN : Le sentiment commun est contre vos maximes,
Puisque ignorant et sot sont termes synonymes.

CLITANDRE : Si vous le voulez prendre aux usages du mot,
L’alliance est plus grande entre pédant et sot.

TRISSOTIN : La sottise dans l’un se fait voir toute pure.

CLITANDRE : Et l’étude dans l’autre ajoute à la nature.

TRISSOTIN : Le savoir garde en soi son mérite éminent.

CLITANDRE : Le savoir dans un fat devient impertinent.

TRISSOTIN : Il faut que l’ignorance ait pour vous de grands charmes,
Puisque pour elle ainsi vous prenez tant les armes.

CLITANDRE : Si pour moi l’ignorance a des charmes bien grands,
C’est depuis qu’à mes yeux s’offrent certains savants.

TRISSOTIN : Ces certains savants-là, peuvent à les connaître
Valoir certaines gens que nous voyons paraître.

CLITANDRE : Oui, si l’on s’en rapporte à ces certains savants;
Mais on n’en convient pas chez ces certaines gens.

PHILAMINTE : Il me semble, Monsieur…

CLITANDRE : Eh, Madame, de grâce,
Monsieur est assez fort, sans qu’à son aide on passe:
Je n’ai déjà que trop d’un si rude assaillant;
Et si je me défends, ce n’est qu’en reculant.

ARMANDE : Mais l’offensante aigreur de chaque repartie
Dont vous…

CLITANDRE : Autre second, je quitte la partie.

PHILAMINTE : On souffre aux entretiens ces sortes de combats,
Pourvu qu’à la personne on ne s’attaque pas.

CLITANDRE : Eh, mon Dieu, tout cela n’a rien dont il s’offense;
Il entend raillerie autant qu’homme de France;
Et de bien d’autres traits il s’est senti piquer,
Sans que jamais sa gloire ait fait que s’en moquer.

TRISSOTIN : Je ne m’étonne pas au combat que j’essuie,
De voir prendre à Monsieur la thèse qu’il appuie.
Il est fort enfoncé dans la cour, c’est tout dit:
La cour, comme l’on sait, ne tient pas pour l’esprit;
Elle a quelque intérêt d’appuyer l’ignorance,
Et c’est en courtisan qu’il en prend la défense.

CLITANDRE : Vous en voulez beaucoup à cette pauvre cour,
Et son malheur est grand, de voir que chaque jour
Vous autres beaux esprits, vous déclamiez contre elle;
Que de tous vos chagrins vous lui fassiez querelle;
Et sur son méchant goût lui faisant son procès,
N’accusiez que lui seul de vos méchants succès.
Permettez-moi, Monsieur Trissotin, de vous dire,
Avec tout le respect que votre nom m’inspire,
Que vous feriez fort bien, vos confrères, et vous,
De parler de la cour d’un ton un peu plus doux;
Qu’à le bien prendre au fond, elle n’est pas si bête
Que vous autres Messieurs vous vous mettez en tête;
Qu’elle a du sens commun pour se connaître à tout;
Que chez elle on se peut former quelque bon goût;
Et que l’esprit du monde y vaut, sans flatterie,
Tout le savoir obscur de la pédanterie.

TRISSOTIN : De son bon goût, Monsieur, nous voyons des effets.

CLITANDRE : Où voyez-vous, Monsieur, qu’elle l’ait si mauvais?

TRISSOTIN : Ce que je vois, Monsieur, c’est que pour la science
Rasius et Baldus font honneur à la France,
Et que tout leur mérite exposé fort au jour,
N’attire point les yeux et les dons de la Cour.

CLITANDRE : Je vois votre chagrin, et que par modestie
Vous ne vous mettez point, Monsieur, de la partie:
Et pour ne vous point mettre aussi dans le propos,
Que font-ils pour l’Etat vos habiles héros?
Qu’est-ce que leurs écrits lui rendent de service,
Pour accuser la cour d’une horrible injustice,
Et se plaindre en tous lieux que sur leurs doctes noms
Elle manque à verser la faveur de ses dons?
Leur savoir à la France est beaucoup nécessaire,
Et des livres qu’ils font la cour a bien affaire.
Il semble à trois gredins, dans leur petit cerveau,
Que pour être imprimés, et reliés en veau,
Les voilà dans l’État d’importantes personnes;
Qu’avec leur plume ils font les destins des couronnes;
Qu’au moindre petit bruit de leurs productions,
Ils doivent voir chez eux voler les pensions;
Que sur eux l’univers a la vue attachée;
Que partout de leur nom la gloire est épanchée,
Et qu’en science ils sont des prodiges fameux,
Pour savoir ce qu’ont dit les autres avant eux,
Pour avoir eu trente ans des yeux et des oreilles,
Pour avoir employé neuf ou dix mille veilles
À se bien barbouiller de grec et de latin,
Et se charger l’esprit d’un ténébreux butin
De tous les vieux fatras qui traînent dans les livres;
Gens qui de leur savoir paraissent toujours ivres;
Riches pour tout mérite, en babil importun,
Inhabiles à tout, vides de sens commun,
Et pleins d’un ridicule, et d’une impertinence
À décrier partout l’esprit et la science.

PHILAMINTE : Votre chaleur est grande, et cet emportement
De la nature en vous marque le mouvement.
C’est le nom de rival qui dans votre âme excite…

(Entre Julien, qui remet un billet à Philaminte.)

Les Femmes savantes, Molière, Acte IV, scène 3. N’oubliez pas qu’il est impossible de travailler une scène sans connaître l’oeuvre intégrale. Vous pouvez acheter le livre en ligne et le récupérer dans la librairie la plus proche via ce lien Place des Libraires : Les Femmes savantes — Molière

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