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Il n’y a rien de plus ronflant que les poncifs qui suivent le nouvel an. S’embrasser sous le gui entre inconnus avec une haleine âcre et poisseuse de champagne au saumon fait encore rêver à la réconciliation des peuples ! Mais entendre tout le mois de janvier les réponses automatiques Et surtout, bonne santé !, ah ça, non !
A croire que les gens sont méfiants. Comme si Bonne année ! était imprécis, insuffisant, suspect. Comme si, avec cette formule simple, on ne souhaitait qu’un demi-bonheur guigneux (« J’espère que tu obtiendras ta promotion ! ») contre lequel il est important de se prémunir en répondant par un lieu commun (« Merci ! Mais n’oublie pas que si je passe sous le tramway, ça me fera une belle jambe ! »).
Alors, pour une fois, je vais tous vous souhaiter une bonne année et une mauvaise santé ! Pas seulement par moquerie, ou par besoin de distinction, mais aussi dans un souci d’égalité. En effet, qu’est-ce qu’on peut répondre aux malades autour de nous au 1er janvier ? « Bonne santé » ? Ce serait gentil, et même, un peu niais…
En vérité, pourquoi ne pas célébrer les problèmes de santé, qui nous font souffrir mais qui nous apprennent aussi la valeur du plaisir, qui nous rendent tristes mais plus profonds, plus fragiles mais plus forts, plus sensibles et donc moins morts ? C’est en tout cas le sentiment d’Antonin Artaud dans « Les Malades et les Médecins« , qui ouvre l’année 2015 en beauté :
La maladie est un état. La santé n’en est qu’un autre. Plus moche. Je veux dire plus lâche et plus mesquin. Pas de malade qui n’ait grandi. Pas de bien-portant qui n’ait un jour trahi, pour n’avoir jamais voulu être malade, comme tels médecins que j’ai subis.
J’ai été malade toute ma vie et je ne demande qu’à continuer car les états de privation de la vie m’ont toujours enseigné beaucoup mieux sur la pléthore de ma puissance que les crédences petit-bourgeoises de « LA BONNE SANTE SUFFIT ». Car mon être est beau mais affreux. Et il n’est beau que parce qu’il est affreux. Guérir une maladie est un crime. C’est écraser la tête d’un môme beaucoup moins chiche que la vie. Le laid sonne, le beau se perd.
Mais, malade, on n’est pas dopé d’opium, de cocaïne ou de morphine, il faut aimer l’affre térébrant des fièvres, la jaunisse et sa perfidie, beaucoup plus que toute euphorie.
Alors, la fièvre, la fièvre chaude de ma tête, car je suis en état de fièvre depuis cinquante ans que je suis en vie, me donnera mon opium, cet être, celui, tête chaude que je serai, O-pi-um de la tête aux pieds. Car la cocaïne est un or héroïque, un surhomme en or.
(Ta ta ta ri ta ta i te ra ta te i te e ta te ri)
Et l’opium est cette cave, cette momification de sang-cave, cette raclure de sperme en cave, cette désintégration d’un vieux trou, cette excrémation d’un vieux môme, cette excrémentation d’un môme, petit môme d’anus enfoui, dont le nom est merde, pipi, con-science des maladies. Et opium de père en fi, donc, qui va de père en fils, il faut qu’il te revienne la poudre quand tu auras bien souffert sans lit.
C’est ainsi que je considère que c’est à moi, sempiternel malade, à guérir tous les malades – nés médecins par insuffisance de maladie, et non à des médecins ignorants de mes états affreux de malade, de m’imposer leur insulinothérapie, santé d’un monde d’avachis.
Antonin Artaud, « Les malades et les médecins« . Voir notre liste complète de textes et de scènes de théâtre (pour une audition ou pour l’amour du travail)
Bref, pour finir sur une note joyeuse, à tous ceux qui se sentent obligés de répondre « Et bonne santé ! » pour déjouer le mauvais œil, j’ai envie de répliquer comme Lino Ventura dans La Bonne Année :
Tu sais ce qu’il y a de dramatique avec toi, c’est que t’es con et méfiant. Parce que quand je te dis que t’es con, tu me crois pas.