La Compagnie Affable

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La Dispute, fable de Jean Anouilh

La Vérité Clouzot Charles Vanel

Une femme avait rénové
L’art délicat de la dispute.
Non qu’il se puisse rien trouver,
Depuis qu’hommes et femmes aux uns les autres en butte,
Des diverses façons de se faire du mal
Ont étudié la théorie.
Mais enfin, celle-ci, charmante dans la vie,
Et avec ses amis d’un caractère égal,
Avait, avec beaucoup d’ingéniosité,
Mis au point un curieux et nouveau procédé
De l’art très ancien d’exaspérer le mâle.
Elle avait inventé la dispute en spirale.
La recette en est simple. Appâtez avec rien.
(Il faut bien commencer) : un grief sans raison.
Puis, attaquez à petit feu, en prenant soin
Que la dispute ne vienne à ébullition
Sur ce premier motif, qui n’était qu’une amorce.
Quand la pâte est un peu montée, utilisez
Un reproche connu, aux effets éprouvés.
Mijotez un instant ; quand la chose se corse
Prenez un reproche majeur :
Une insulte à votre famille ;
Ou ce qu’il a brisé en vous,
Saccageant votre petit cœur,
Quand il vous a pris, jeune fille…
(Une formule : « C’est comme le jour où… »
Suffit presque toujours pour changer de reproche)
Et c’est ainsi que, peu à peu, de proche en proche,
Si vous savez élégamment lier le tout,
Vous amenez votre homme à bout.
Ayant d’abord sombré dans la mélancolie,
Car il l’aimait encor (sa femme était jolie),
Le mari avait éventé le procédé.
Un jour il crut avoir trouvé
Le moyen de remettre un peu d’ordre en sa vie.
Comme elle détaillait un de ses attentats,
S’inclinant avec courtoisie,
Il lui dit simplement « Chérie,
Adressez-vous donc à mon avocat. »
Le lendemain, Maître Garçon
Se présentait chez cette dame.
Au juste, que reprochait-on ?
De lui avoir brisé son âme ?
Où, comment, de quelle façon ?
On exigeait des précisions.
L’avocat était calme et n’y était pour rien.
La femme dut mettre du sien
Le climat passionnel qui manquait à la chose,
Maître Garçon maniant en maître l’eau de rose ;
Elle vit qu’elle était en train
De perdre beaucoup de terrain.
Il fallait trouver la parade.
Brisant là, elle remit au lendemain.
Le lendemain, à la première algarade,
« Voyez mon avocat », dit l’homme s’esquivant,
En coup de vent.

La Vérité Clouzot Paul Meurisse
Arrivé au bureau, il eut une surprise :
On annonçait Maître Floriot.
« Je suis, Monsieur, lui dit le Maître,
Chargé par Madame de mettre
Les points sur les i, sans façons.
Ma cliente est toujours éprise.
Aucune solution de force ;
Nous ne voulons pas le divorce ;
Rien qu’une franche explication.
Vous avez mal agi, il suffit de l’admettre,
« Pour tous renseignements, cher Maître,
Dit l’homme, voyez Garçon. »
Les deux Maîtres s’invitèrent, mutuellement,
Pour transiger devant des huîtres, chez Drouant.
Notre homme emmena sa femme à Versailles,
Au restaurant où s’étaient faites leurs fiançailles.
Le repas fut charmant et calme
— Leurs avocats devant régler pour eux —
La table fleurie sous les palmes
Dans un coin de jardin heureux.
Le garçon crut servir un couple d’amoureux
— Adultère — vu les alliances ;
Mais ce détail avait pour lui peu d’importance.
Chez Drouant, après les premiers mots d’esprit,
L’atmosphère soudain s’aigrit.
« Mon cher, disait Garçon, parfois vous êtes prude
— A Floriot contracté —
Vous refusez au lit les moindres privautés…
Passe un godelureau, vous changez d’attitude.
Ne parlons pas des plages en été,
Où vous vous enivrez de votre nudité,
Croupe offerte, Madame, et vous vous dites honnête !
Voulez-vous des détails précis ?
J’ai mesuré vos bikinis!
Une fille, mon cher, voilà ce que vous êtes. »
« Ah ! ricanait Floriot, de ce lit, parlons-en !
(A son tour Garçon était pâle)
Combien de fois, je ne dis pas par mois, par an,
Faites-vous vos devoirs de mâle ?
(Floriot levait un doigt aux cieux)
Je suis une femme insatisfaite, Monsieur ! »
« Soyez un peu plus séduisante !
Hurlait Garçon, à Floriot furibond,
Apprenez à être une amante,
Madame, avant d’avoir le front,
De douter de nos aptitudes.
Ayez donc du tempérament ! »
« Sachez donc que si je suis prude,
Comme il vous plaît de le dire, Monsieur,
(Jetait Floriot, yeux dans les yeux,
A Garçon rattrapant sa mèche)
C’est que vous êtes maladroit !
Je suis femme et serai à qui saura me prendre !
Mais vous, morne et brutal voyou ! » — « Pimbêche! »
Garçon et Floriot écumants
En firent tant
Que le gérant
Les expulsa de chez Drouant.
A Montfort-l’Amaury, leurs clients, chez Carrère,
Prenaient le thé, surpris de la douceur du jour.
Sur le soir, ils demandèrent
Une chambre et firent l’amour.
Moralité : Ne faites pas
Le travail de vos avocats.
Tout le mal vient de la tête.
Les corps sont souvent amis
Et, le temps qu’ils se font fête,
Il faut leur être soumis.

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→ Voir aussi notre liste de textes et de scènes issus du théâtre, du cinéma et de la littérature (pour une audition, pour le travail ou pour le plaisir)

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Cette entrée a été publiée le 11 mai 2015 par dans Audition / Casting, Poésie, et est taguée , , , , , , , .
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