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Dans la scène VIII de La Cantatrice Chauve d’Eugène Ionesco, les couples Smith et Martin se livrent à un concours de « fables expérimentales » (dont certaines sont dans Dialogue à Fables). Le Capitaine des Pompiers se lance à son tour avec un apologue pour le moins étonnant (la scène se joue à plusieurs mais vous pouvez le monter en monologue) :
[…]
LE POMPIER : « Le Rhume » : Mon beau-frère avait, du côté paternel, un cousin germain dont un oncle maternel avait un beau-père dont le grand-père paternel avait épousé en secondes noces une jeune indigène dont le frère avait rencontré, dans un de ses voyages, une fille dont il s’était épris et avec laquelle il eut un fils qui se maria avec une pharmacienne intrépide qui n’était autre que la nièce d’un quartier-maître inconnu de la Marine britannique et dont le père adoptif avait une tante parlant couramment l’espagnol et qui était, peut-être, une des petites-filles d’un ingénieur, mort jeune, petit-fils lui-même d’un propriétaire de vignes dont on tirait un vin médiocre, mais qui avait un petit-cousin, casanier, adjudant, dont le fils avait épousé une bien jolie jeune femme, divorcée, dont le premier mari était le fils d’un sincère patriote qui avait su élever dans le désir de faire fortune une de ses filles qui put se marier avec un chasseur qui avait connu Rothschild et dont le frère, après avoir changé plusieurs fois de métier, se maria et eut une fille dont le bisaïeul, chétif, portait des lunettes que lui avait données un sien cousin, beau-frère d’un Portugais, fils naturel d’un meunier, pas trop pauvre, dont le frère de lait avait pris pour femme la fille d’un ancien médecin de campagne, lui-même frère de lait du fils d’un laitier, lui-même fils naturel d’un autre médecin de campagne, marié trois fois de suite dont la troisième femme…
M. MARTIN : J’ai connu cette troisième femme, si je ne me trompe. Elle mangeait du poulet dans un guêpier.
LE POMPIER : C’était pas la même.
Mme SMITH : Chut!
LE POMPIER : Je dis : …dont la troisième femme était la fille de la meilleure sage-femme de la région et qui, veuve de bonne heure…
M. SMITH : Comme ma femme.
LE POMPIER : …s’était remariée avec un vitrier, plein d’entrain, qui avait fait, à la fille d’un chef de gare, un enfant qui avait su faire son chemin dans la vie…
Mme SMITH : Son chemin de fer…
M. MARTIN : Comme aux cartes.
LE POMPIER : Et avait épousé une marchande de neuf saisons, dont le père avait un frère, maire d’une petite ville, qui avait pris pour femme une institutrice blonde dont le cousin, pêcheur à la ligne…
M. MARTIN : A la ligne morte?
LE POMPIER : …avait pris pour femme une autre institutrice blonde, nommée elle aussi Marie, dont le frère s’était marié à une autre Marie, toujours institutrice blonde…
M. SMITH : Puisqu’elle est blonde, elle ne peut être que Marie.
LE POMPIER : …et dont le père avait été élevé au Canada par une vieille femme qui était la nièce d’un curé dont la grand-mère attrapait, parfois, en hiver, comme tout le monde, un rhume.
Mme. SMITH : Curieuse histoire. Presque incroyable.
M. MARTIN : Quand on s’enrhume, il faut prendre des rubans.
M. SMITH : C’est une précaution inutile, mais absolument nécessaire.
Mme MARTIN : Excusez-moi, Monsieur le Capitaine, mais je n’ai pas très bien compris votre histoire. A la fin, quand on arrive à la grand-mère du prêtre, on s’empêtre.
M. SMITH : Toujours, on s’empêtre entre les pattes du prêtre.
Mme SMITH : Oh oui, Capitaine, recommencez ! tout le monde vous le demande.
LE POMPIER : Ah ! je ne sais pas si je vais pouvoir. Je suis en mission de service. Ça dépend de l’heure qu’il est.
Mme SMITH : Nous n’avons pas l’heure, chez nous.
LE POMPIER : Mais la pendule?
M. SMITH : Elle marche mal. Elle a l’esprit de contradiction. Elle indique toujours le contraire de l’heure qu’il est.
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