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Tirade classique pour les femmes : Lucrèce Borgia engueule vertement son mari, Don Alphonse, tranquillement assis dans son fauteuil, alors qu’on vient de retirer le B des Borgia sur la façade du palais pour former le mot « Orgia »…
DON ALPHONSE, DONA LUCREZIA.
DONA LUCREZIA, entrant avec impétuosité.
Monsieur, monsieur, ceci est indigne, ceci est odieux ceci est infâme. Quelqu’un de votre peuple, savez-vous cela, don Alphonse? vient de mutiler le nom de votre femme gravé au-dessous de mes armoiries de famille sur la façade de votre propre palais. La chose s’est faite en plein jour, publiquement, par qui? je l’ignore, mais c’est bien injurieux et bien téméraire. On a fait de mon nom un écriteau d’ignominie, et votre populace de Ferrare, qui est bien la plus infâme populace de l’Italie, monseigneur, est là qui ricane autour de mon blason comme autour d’un pilori. Est-ce que vous vous imaginez, don Alphonse, que je m’accommode de cela, et que je n’aimerais pas mieux mourir en une fois d’un coup de poignard qu’en mille fois de la piqûre envenimée du sarcasme et du quolibet? Pardieu, monsieur, on me traite étrangement dans votre seigneurie de Ferrare!
Ceci commence à me lasser, et je vous trouve l’air trop gracieux et trop tranquille pendant qu’on traîne dans les ruisseaux de votre ville la renommée de votre femme, déchiquetée à belles dents par l’injure et la calomnie. Il me faut une réparation éclatante de ceci, je vous en préviens, monsieur le duc.
Préparez-vous à faire justice. C’est un événement sérieux qui arrive là, voyez-vous? Est-ce que vous croyez par hasard que je ne tiens à l’estime de personne au monde, et que mon mari peut se dispenser d’être mon chevalier? Non non, monseigneur, qui épouse protège; qui donne la main donne le bras. J’y compte. Tous les jours ce sont de nouvelles injures et jamais je ne vous en vois ému. Est-ce que cette boue dont on me couvre ne vous éclabousse pas, don Alphonse? Allons, sur mon âme, courroucez-vous donc un peu, que je vous voie, une fois dansvotre vie, vous fâcher à mon sujet, monsieur! Vous êtes amoureux de moi, dites-vous quelquefois ?soyez-le donc de ma gloire. Vous êtes jaloux? soyez-le de ma renommée! Si j’ai doublé par ma dot vos domaines héréditaires; si je vous ai apporté en mariage, non seulement la rose d’or et la bénédiction du Saint-Père, mais ce qui tient plus de place sur la surface du monde, Sienne, Rimini, Cesena, Spolette et Piombino, et plus de villes que vous n’aviez de châteaux, et plus de duchés que vous n’aviez de baronnies; si j’ai fait de vous le plus puissant gentilhomme de l’Italie, ce n’est pas une raison, monsieur, pour que vous laissiez votre peuple me railler, me publier et m’insulter; pour que vous laissiez votre Ferrare montrer du doigt à toute l’Europe votre femme plus méprisée et plus bas placée que la servante des valets de vos palefreniers; ce n’est pas une raison, dis-je, pour que vos sujets ne puissent me voir passer au milieu d’eux sans dire Ha cette femme Or, je vous le déclare, monsieur, je veux que le crime d’aujourd’hui soit recherché et notablement puni, ou je m’en plaindrai au Pape, je m’en plaindrai au Valentinois qui est à Forli avec quinze mille hommes de guerre; et voyez maintenant si cela vaut la peine de vous lever de votre fauteuil !
Lucrèce Borgia, Victor Hugo. N’oubliez pas qu’il est impossible de travailler un texte sans l’œuvre complète. Vous pouvez acheter le livre en ligne et le récupérer dans la librairie la plus proche via ce lien Place des Libraires : Lucrèce Borgia — Victor Hugo
Cet extrait est tellement inspirant ! Il donne envie de bondir sur scène… J’ai bien hâte de lire l’oeuvre complète
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