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Tirade de L’Infante qui ouvre La Reine Morte d’Henry de Montherlant (vous aurez juste besoin d’un Roi Ferrante silencieux sur son trône pour essuyer la colère de la jeune femme).
L’INFANTE. — Je me plains à vous, je me plains à vous, Seigneur. Je me plains à vous, je me plains à Dieu. Je marche avec un glaive enfoncé dans mon cœur. Chaque fois que je bouge, cela me déchire. Vous êtes venu, Seigneur, dans ma Navarre (que Dieu protège !) pour vous y entretenir avec le Roi mon père des affaires de vos royaumes. Vous m’avez vue, vous m’avez parlé, vous avez cru qu’une alliance entre nos couronnes, par l’instrument du Prince votre fils, et de moi, pouvait être faite pour le grand bien de ces couronnes et pour celui de la chrétienté. Vous deux, les rois, vous décidez d’un voyage que je ferai au Portugal, accompagnée de l’Infant, mon frère, peu après votre retour. Nous venons, nous sommes reçus grandement. La froideur du Prince, à mon égard, ne me surprend ni ne m’attriste. J’avais vu plus loin au-delà de lui, je voyais l’œuvre à faire. Trois jours se passent. Ce matin, don Pedro, seul avec moi, me fait un aveu. Il plaide n’avoir su vos intentions qu’à votre retour de Navarre, quand il était trop tard pour revenir sur notre voyage. Il me déclare que son cœur est lié à jamais à une dame de votre pays, dona Inès de Castro, et que notre union n’aura pas lieu. Je crois que si je ne l’avais retenu il m’eût conté ses amours de bout en bout et dans le détail tant les gens affligés du dérangement amoureux ont la manie de se croire objet d’admiration et d’envie pour l’univers entier. Ainsi on me fait venir, comme une servante, pour me dire qu’on me dédaigne et me rejeter à la mer ! Ma bouche sèche quand j’y pense. Seigneur, savez-vous que chez nous, en Navarre, on meurt d’humiliation ? Don Guzman Blanco, réprimandé par le roi Sanche, mon grand-père, prend la fièvre, se couche, et passe dans le mois. Le père Martorell, confesseur de mon père, lorsqu’il est interdit, a une éruption de boutons sur tout le corps, et expire après trois jours. Si je n’étais jeune et vigoureuse, Seigneur, de l’affront que j’ai reçu du Prince, je serais morte.
La Reine morte, Henry de Montherlant, Acte 1, scène 1. N’oubliez pas qu’il est impossible de travailler une scène sans connaître l’œuvre intégrale. Vous pouvez acheter le livre en ligne et le récupérer dans la librairie la plus proche via ce lien Place des Libraires : La Reine morte — Henry de Montherlant
Merci pour tout ce travail dont nous sommes heureux de profiter. Vraiment merci.
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