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Le mois prochain, précipitez-vous au Théâtre de Ménilmontant pour assister à une expérience de théâtre très originale ! Et pour cause, Le Chant du Coq est tout sauf une adaptation de Don Quichotte, pour la simple et bonne raison que la pièce n’a pas de texte ! A partir d’un canevas de situations tirées du chef d’œuvre de Cervantès, les comédiens devront improviser chaque soir !
Nous rencontrons Jean-Laurent Silvi, le metteur en scène du spectacle, pour parler de cette création collective osée.
– Bonjour Jean-Laurent, comment t’est venue l’idée de cette pièce ?
Je cherchais une épopée, quelque chose d’initiatique. Et quand j’en ai discuté avec un de mes comédiens, il a avancé l’idée de Don Quichotte. Je me suis dit : « bien sûr ! », c’est cette histoire qu’il nous faut ! C’est une histoire universelle, qui parle de l’homme. Ca correspondait parfaitement au travail que je voulais faire, puisque cette fois, je ne voulais pas partir du texte, mais du comédien.
Puis je me suis posé la question : est-ce qu’il est possible de travailler sans texte ? De toute façon, une adaptation écrite aurait été trop compliquée. Alors il a fallu trouver une autre forme. J’avais déjà la chance d’avoir parmi mes amis Sylvain Mossot et Axel Blind, qui collaient dans mon esprit aux personnages de Don Quichotte et de Sancho Pança, ainsi que d’autres comédiens talentueux. Une fois tout ce petit monde sélectionné, on s’est mis à travailler en improvisation. J’ai d’abord organisé un stage où j’ai réuni mes comédiens pour trouver une manière de travailler mais sans aborder Don Quichotte. Et à l’issue de cette expérience, j’ai vu que c’était possible, que tous les comédiens avaient une personnalité suffisamment riche pour arriver à proposer leur propre « texte ».
– Il y a bien un canevas quand même ?
Oui. On a isolé des situations dans le premier tome, qui sont des « fragments », des moments de vie servant de canevas au jeu improvisé des comédiens. Les acteurs restent fidèles à la situation et aux sentiments qu’elle implique, mais ils trouvent leur liberté dans la forme. A l’image des lazzi des comédiens italiens.
– Comment tu diriges leur improvisation ?
Je cherche la vérité de leurs sentiments. Quand leur jeu ne me semble pas vrai, je me dis que quelque chose ne fonctionne pas dans mes indications. On part dans une nouvelle direction et je leur fais confiance.
– Est-ce que tu flippes encore plus que pour une pièce « à texte » ?
Oui et non. Oui, évidemment parce que c’est plus dangereux qu’une pièce où l’on peut se raccrocher au texte. Ce sera vraiment différent chaque soir. Et non, parce que j’ai une grande confiance dans mes comédiens. Je sais que leur manière très personnelle d’être « vrais » peut fonctionner sur scène et, qui sait, peut-être aider les spectateurs à entrer dans le jeu.
– Et pourquoi ce titre : « Le Chant du Coq » ?
Pour plusieurs raisons. D’abord parce que le chant du coq, c’est le chant du matin, celui qui réveille l’homme de ses songes les plus fous. Et puis il y a aussi ce fameux coq de Rostand, Chanteclerc, qui croit que chaque matin son chant fait lever le soleil.
– Comment es-tu tombé dans le théâtre ?
J’avais 12 ans. Il y avait un théâtre à côté de chez moi, et, un jour, sans vraiment savoir pourquoi, puisque je n’étais jamais allé au théâtre et que je n’avais jamais lu de théâtre, j’ai demandé à mes parents de m’inscrire. J’étais mauvais à l’école et, là, pour la première fois de ma vie, j’ai trouvé un professeur qui m’a encouragé. Du coup, j’ai continué sept ans dans un Conservatoire de province et à 20 ans, je suis arrivé au Cours Cochet. Au bout d’un an, Jean-Laurent Cochet m’a proposé un poste d’assistant et je suis resté trois ans de plus. Puis, j’ai créé brièvement un cours de théâtre au Ciné 13 avant d’arrêter parce que je me suis rendu compte que ce n’était profitable ni pour les élèves ni pour le professeur de travailler tout seul. En plus, j’avais beaucoup de travail à côté, et je me suis promis de recommencer l’expérience à plusieurs. C’est comme ça qu’est né Le Foyer en janvier.
– Peux-tu nous parler de ta première mise en scène ?
En sortant du cours Cochet, j’ai monté Monsieur de Pourceaugnac avec des élèves. Au départ, nous avions prévu de jouer une seule fois dans une salle du lycée Louis-le-Grand. Et puis ça a tellement bien marché qu’on nous a demandé une deuxième date. Forts de cet accueil, nous avons continué dans une petite salle parisienne, et voilà que le maire de Versailles, qui a entendu parler de nous, nous propose de venir jouer au Mois Molière dans les Grandes Ecuries, qui comptent quand même quelques 700 places ! C’est impressionnant ce changement d’échelle, les spectateurs se bousculent aux portillons, on doit refuser des dizaines de personnes, en plus, le maire annonce qu’il ne sait pas ce que ça va donner parce qu’il n’a pas vu le spectacle… Et finalement, là aussi, formidable accueil du spectacle, standing ovation, le maire nous reprogramme l’année suivante ! Et, de fil en aiguille, on s’est retrouvés à jouer la pièce une centaine de fois pendant deux ans. Et, pour ma part, j’ai continué à me concentrer sur la mise en scène.
– Un metteur en scène qui t’inspire ?
Giorgio Strehler. Malheureusement, il est mort en 1997 et je n’ai eu accès qu’à des captations ou à des photos de ses mises en scènes, à des interviews, etc… mais se dégage de son théâtre quelque chose qui me plaît énormément : tout en restant conventionnel, sans aucune innovation, sans faire du tout de théâtre d’avant-garde, il est arrivé à créer des spectacles géniaux. Il faut voir son Roi Lear ou sa Tempête !
Dans La Grande Magie d’Eduardo De Filippo : un magicien fait disparaître une femme dans une boîte et annonce à son mari qu’il n’arrive pas à la faire réapparaître. En échange, il donne à l’époux désemparé une petite boîte dans laquelle il prétend que se trouve la disparue. En fait, on apprend que la femme voulait simplement disparaître avec son amant… Simplement le mari est absolument persuadé que la boîte contient sa femme. Et il y a une scène surréaliste où sa véritable épouse vient lui expliquer que ce n’était qu’un mauvais tour, et où lui maintient que sa vraie femme est dans la boîte qu’il tient… Ça s’est joué récemment à la Comédie Française avec Denis Podalydès, qui était merveilleux dans le rôle du mari.
– Ta fable préférée ?
« Le Berger et le Roi », une belle fable qui montre comment l’ambition peut nous faire perdre l’essentiel de vue. Elle commence comme ça :
« Deux démons à leur gré partagent notre vie, / Et de son patrimoine ont chassé la raison. / Je ne vois point de cœur qui ne leur sacrifie. / Si vous me demandez leur état et leur nom, / J’appelle l’un Amour, et l’autre Ambition. »
– Le mot de la fin ?
C’est un conseil de mon premier professeur de théâtre :
« Il ne faut pas vouloir vouloir, il faut juste vouloir. »
Nous remercions Jean-Laurent Silvi pour cet entretien. Le Chant du Coq se jouera le jeudi 1er, le vendredi 2 et le samedi 3 octobre à 20h et le dimanche 4 à 16h au Théâtre de Ménilmontant. Si vous avez envie de voir ce que ça donne, vous pouvez réserver ici !