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Cette semaine, on a pris un verre avec Geoffrey Lopez, un passionné de théâtre et de littérature qui remet à l’honneur l’œuvre de Courteline au Théâtre du Nord-Ouest dans Les Boulingrin et autres pièces.
Bonjour, Geoffrey, comment es-tu « tombé » dans le théâtre ?
Par la « petite porte ». J’ai commencé assez jeune avec le spectacle de rue. Je faisais de l’escrime artistique dans des petites fêtes, quelquefois dans des sons et lumières. C’est comme ça que j’ai créé ma première troupe « La Brette Noire » (ndlr : une brette est une épée bretonne ou une rapière, ça dépend), pour monter des spectacles plus ambitieux, dans lesquels on a commencé à intégrer du théâtre. Mon premier maître a été mon maître d’armes, qui avait un bagage de commedia dell’arte.
Je faisais des études de lettres et je me suis « enfui » avant l’agrégation pour consacrer ma vie au théâtre. J’avais l’impression que mes condisciples étaient déconnectés de la vie et j’avais peur de devenir un vieux con, comme dit Luchini dans le film Paris (rires).
J’ai rencontré Jean-Laurent Cochet, qui avait été le professeur de mon oncle, et il m’a dit : « apprends une fable, tu commences demain ! », en me tendant une liste de scènes à travailler. Ça m’a bien motivé, mais je dois dire que j’ai été assez vite un mauvais élève car j’ai toujours eu le besoin de jouer. J’avais déjà fait 6 ans d’études après le bac… Et puis, j’avais dix ans de spectacle de rue derrière moi. Même si ça n’apprend pas tout, même si ça peut pousser au cabotinage ou à d’autres travers, ça permet de travailler la relation avec le public ou le corps, sur lequel je me suis beaucoup exercé avec l’escrime. Enfin, je me méfie des éternels étudiants, c’est triste de voir tous ces comédiens qui sortent d’un cours d’art dramatique sans savoir quoi faire…
Pourquoi as-tu choisi Courteline pour ta première mise en scène en sortant du cours ?
Premièrement, c’était un coup de cœur. J’avais monté La Peur des coups dans un cadre amateur, et j’avais adoré l’esprit cruel de cette dispute invraisemblable, ces mots d’esprit, cette précision ! Chez Feydeau, chez Labiche, il y a un rythme général, mais chez Courteline, le vaudeville devient de la dentelle !
Chez Courteline, le vaudeville devient de la dentelle !
Et il y a un mystère dans l’écriture de Courteline. Ca fait rire et tu ne sais pas pourquoi. Dans La Peur des coups, il y a un moment où le mari s’exclame « Maintenant tu donnes dans le pantalon rouge ! » qui marche très bien et je n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi. Ce n’est pas la référence au « pantalon rouge » qui fait rire, ce n’est pas un rire intellectuel parce que la réaction du public est immédiate. C’est quelque chose qui tient au rythme, à la musique.
C’est d’ailleurs le défi de cette mise en scène, et la seconde raison pour laquelle je l’ai choisie : il faut retrouver le mouvement qui marche chez Courteline. Il faut, par exemple, se débrouiller pour faire rire avec La Conversion d’Alceste (ndlr : présentée par Courteline comme la suite du Misanthrope) sans expliquer toutes les références au Misanthrope. On a eu des doutes dans la troupe, on s’est demandé si le style de Courteline n’était pas un peu passé d’âge, mais j’avais vu que ça pouvait fonctionner. Le succès comique de Courteline tient dans le regard de ses personnages, qui font face à des situations vraiment dramatiques aux yeux de l’auteur. Dans Boubouroche, par exemple, il décrit une histoire de cocu qui l’a miné parce qu’elle touchait son meilleur ami. C’est un drame sur le papier. Pourtant, ce fut son premier succès comique. Et quand on pense au « frotteur » de La Peur des coups, à cette femme qui subit une agression sexuelle parce que son mari est trop lâche, on n’a pas envie de rire, ça rappelle les tracas modernes du métro. Pourtant, le rire arrive, parce que les personnages sont amusants et attachants. Ils sont pleins de l’esprit de Courteline, pleins d’une ironie amère qui fait mouche !
Comment s’est formée cette nouvelle troupe ?
Assez simplement. C’est en discutant avec Louise Duhamel de La Peur des coups que j’ai eu l’idée de faire ce montage, et c’est la première personne qui est montée à bord. J’ai rencontré tous les autres comédiens au cours Cochet. Ce sont des personnes avec qui j’avais bossé ou avec qui j’avais envie de bosser, parce qu’elles sont talentueuses, travailleuses et qu’elles ont des qualités humaines. Ils m’ont tous dit oui et j’avoue que j’étais surpris car j’avais l’impression de passer pour un gars un peu « bourru », un peu « terrien » au sein de ce cours assez « intello ». Il n’y a personne qui soit individualiste au sein de la distribution et je crois que c’est pour ça que ça se passe bien !
Est-ce que tu es le seul metteur en scène ?
J’ai la mainmise sur la mise en scène. Cependant, comme je suis la moitié du temps sur scène, et pris dans le jeu, j’avais également besoin d’un regard extérieur. C’est pourquoi j’ai fait appel à Guillaume D’Harcourt, qui m’a fait tout un tas de remarques et de propositions en marge des répétitions. Sinon, je contrôle pas mal de choses, ça me semble mieux pour la cohérence de la mise en scène. C’est pour ça que j’ai pris en main les costumes et le décor, qu’on a chiné dans des ventes aux enchères et même fabriqué sur mesure avec mon père. J’ai quand même réussi à déléguer la musique du spectacle, composée par Emile Cooper Leplay, et l’affiche, qui a été dessinée par Le Boucher Rouge. Sans oublier le teaser du spectacle réalisé par Brice Vincent !
Les Marionnettes de la Vie from Brice VINCENT on Vimeo.
Comment as-tu dirigé tes comédiens ?
Pour commencer, je leur ai donné une ligne directrice, en attendant qu’ils fassent des propositions. Je les ai laissés tâtonner, maturer leur recherche. Puis, nous avons travaillé « couche par couche ». Il y a par exemple eu toute une journée où je leur ai demandé de jouer La Peur des coups comme une tragédie. Tout ce travail s’est additionné petit à petit, et j’ai eu la bonne surprise d’en entendre certains dire qu’ils s’étaient bien amusés dès la fin de la première semaine de répétitions. Ça, c’était un très bon signe ! Arrivés à la première, je leur ai dit de continuer à s’amuser. Je ne dis rien pendant les représentations, c’est étouffant. J’observe en silence. Et puis bon, merde ! Ce sont des comédies ! Si les comédiens ne s’amusent pas, le public ne va jamais rire !
Si les comédiens ne s’amusent pas, le public ne va jamais rire !
Qu’est-ce que tu prépares pour la suite ?
On est en train de travailler un montage comprenant Les Deux Timides de Labiche, La Paix chez soi de Courteline et La Demande en mariage de Tchekhov avec La Brette Noire. J’ai aussi une création personnelle en chantier et je prépare un Misanthrope avec une autre compagnie.
Beau programme ! Puisqu’on est là pour partager les œuvres qui nous inspirent, est-ce qu’il y a une scène de théâtre qui t’a marqué ?
Une scène en particulier dans L’Aiglon de Rostand : Flambeau a poussé l’Aiglon à reprendre le pouvoir. Il se déguise en grenadier français de l’époque napoléonienne et se poste devant la chambre de l’Aiglon. Arrive Metternich, qui tombe sur Flambeau en costume. Celui-ci essaie de le persuader que l’Empereur est toujours en vie, que les fantômes resurgissent du passé, jusqu’à ce qu’une ombre énorme sorte de la chambre de l’Aiglon… On s’imagine que c’est Napoléon, puis apparaît la silhouette chétive de son descendant ! (Et Metternich démolit le jeune homme en le comparant à son auguste ancêtre…) C’est une scène d’une poésie dingue !
Est-ce qu’il y a une mise en scène qui t’a marqué ?
La mise en scène de Fantasio de Podalydès à la Comédie Française (avec Cécile Brune dans le rôle-titre). Spécialement le monologue du début, il y avait un plateau tournant, ça faisait comme un carrousel sur la scène, on était à Vienne !
Une scène de film ?
Dans American Beauty, Kevin Spacey projette un fantasme sur le plafond de sa chambre, il rêve de cette jeune fille allongé sur un lit de pétales de rose, c’est magnifique… Et paf ! Grosse rupture, sa femme le réveille pour lui demander ce qu’il fait et il finit par hurler : « Oui, je me branle ! » (rires) Sinon, L’Homme au masque de fer, c’est ce genre de films qui m’a donné l’envie de faire de l’escrime et du théâtre !
Un livre ?
Le Maître et Marguerite de Boulgakov. C’est un OVNI. Un gros roman impossible à pitcher ! C’est l’histoire du Diable qui débarque à Moscou… m’enfin c’est beaucoup plus compliqué que ça ! Il y a toute une poésie, une pensée foisonnante, c’est drôle, c’est profond, c’est complètement dingue !
Et, bien sûr, les bouquins de Terry Pratchett, mon maître ! C’est une oeuvre bourrée d’humour, de personnages truculents, de références aux contes de fée… Et, à travers les jeux de mots, les moqueries, les farfelutades, percent des avis très sérieux sur la société. Il se battait, par exemple, depuis des années pour le droit à l’euthanasie, suite à son diagnostic d’Alzheimer. Tout à coup, au détour d’une légèreté, on se prend une réflexion métaphysique en pleine tronche ! Je pense notamment à ce passage :
Il avait les yeux bleus. La Mort est un mâle, mais un mal nécessaire.
Un mot de la fin un peu plus réjouissant, peut-être ?
Dans le Caligula de Camus :
CALIGULA : Caesonia, il m’est indifférent de dormir ou de rester éveillé si je n’ai pas d’emprise sur l’ordre de ce monde.
Je remercie Geoffrey Lopez pour cet entretien. Les Boulingrin et autres pièces se joue au Théâtre du Nord-Ouest jusqu’au 26 mars. Pour prendre vos billets, c’est par ici !