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Philippe Torreton se concentre sur le plateau. Peut-être dort-il, qui sait… ? Il a une blessure sur le crâne. Ça sent la pièce montée à l’envers… En vérité, c’est pire. Toutes les incohérences sont permises puisqu’on est dans un hôpital psychiatrique et non pas à l’hôtel de Bourgogne. Dominique Pitoiset a choisi de placer l’action dans un asile de fous, pour offrir une « fable dans la fable ».
« Rien à voir avec la première version ! », dit-on à propos du spectacle au JT de France 2. On dirait une vacherie de Guitry. Pourtant, ça flatte sûrement l’égo du metteur en scène, qui fait tout pour qu’on ne le confonde pas avec Rostand. Christian débarque fringué comme Kev Adams, Roxane arrive dans une nuisette couronnée d’un sweat à capuche, puis c’est un défilé de déficients en joggings. L’un deux se gratte ostensiblement la teub du début à la fin du spectacle. « Tous ces Messieurs à la mine hautaine » se plantent devant Cyrano, inerte dans son fauteuil, toujours dos au public. « Monsieur de Cyrano n’est pas là ? dit Raguenaud sous son nez. Je m’étonne. Montfleury joue ! » Montfleury ramène sa fraise, Torreton se lève enfin, et on voit sa raie. Quel panache ! Il est en marcel et en jogging.
« Je pense que j’ai le costume de Cyrano le moins cher du monde », rit l’acteur.
Barbecue chez les Bidochon. On dirait un Kervern-Delépine. Le rythme est cruellement lent. Il faut dire que Cyrano a déjà pris sa poutre sur le pif… Pas facile d’envoyer la tirade des nez dans ces conditions ! Un seul mot résonne : « sot ». Ben oui, puisque son interlocuteur est handicapé mental… À la fin de l’envoi, il touche avec un fer à repasser sur la joue, en guise de soufflet. Le duel contre cent de la porte de Nesle est symbolisé par une poubelle. Torreton sort la tirade des « non merci ! » les mains dans les poches. L’autre débile a quand même l’élégance de lâcher son zgeg pour attraper un ukulélé et accompagner la fin du morceau.
On enchaîne avec « We are the champions » avant le récit du combat. Lignière ponctue les provocations de Christian en imitant le « j’t’ai cassé » de Brice de Nice. Suit une scène d’une niaiserie épique : Roxane lit les lettres de Cyrano sur « I hope you don’t mind », tandis que Cyrano nous fait une parodie de comédie musicale. On joue Feydeau, quand De Guiche annonce le départ de Christian à la guerre. Et la scène du balcon, c’est plutôt Beckett. Roxane et Christian sont d’abord nez-à-nez. Puis Christian essaie de recoller les morceaux en rappelant sa belle sur Skype. C’est encore une fois superflu, incohérent et franchement bête quand on rapporte le texte à une histoire de bande passante : « vos mots à vous, descendent : ils vont vite. / Les miens montent, Madame : il leur faut plus de temps ! »
Cyrano joue l’homme de la lune sans costume et sans accent pour retarder De Guiche. Ce dernier se retrouve tout à coup en cuirasse au siège d’Arras. Un imparfait du subjonctif lui inspire un bon mot : il se renifle l’aisselle en disant « en sorte que je pus ». Puis il s’amuse à dire le texte à toute vitesse pour faire rire la salle. Alarme à incendie : Roxane déboule en femme-enfant hystérique dans une robe de princesse rose bonbon. Les Corkies dansent (Simplet se malaxe toujours le poireau !) sur un air de guinguette pendant la bataille fatale… etc.
Simplet se masturbe toujours, les parents du comédien doivent être fiers !
Une avalanche de gags lourds prépare la dernière scène, dans laquelle Cyrano nous fait l’honneur d’apparaître en costume… Du balcon, je ne vois que notre cher demeuré qui se masturbe en tapant du pied. Quelle émotion… ! On comble le vide une fois de plus avec Bashung et on revient au tableau de départ, histoire de bien montrer qu’on a « bouclé la boucle ».
Transformer Cyrano en vaudeville au Théâtre de la Porte Saint-Martin, où il a été créé, voilà probablement ce que Jean Vilar appelait le « théâtre populaire d’élite »… Messieurs Pitoiset et Torreton, la prochaine fois, prenez la peine d’indiquer la mention « librement inspiré de », et cessez, je vous prie, de prendre les spectateurs pour des débiles.