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Aujourd’hui, on rencontre Lionel Cecilio, qui joue son spectacle Voyage dans les mémoires d’un fou au Festival d’Avignon OFF 2016.
Comment es-tu tombé dans le théâtre ?
En fait, j’ai rencontré des gens qui m’ont poussé vers le théâtre ; parce qu’au départ, je me destinais à une carrière dans le foot… A 14 ans, je jouais au Paris Football Club, à un niveau semi-pro. Mais un petit problème physique (ndlr : qui ne l’empêche pas aujourd’hui de faire le cabri dans Aladdin) m’a obligé à quitter le maillot. Alors, je me suis inscrit à la fac la plus proche de chez mes parents. C’était d’un ennui mortel, je dessinais en cours, j’écrivais des trucs qui me passaient par la tête…
Un jour, un prof a arraché la feuille sur laquelle j’étais en train de gratter – c’était un prof qui nous apprenait à penser par nous-même – il a lu mes gribouillages – pas à voix haute, je l’en remercie – et il a dû trouver ça intéressant puisqu’il m’a dit : « peut-être que tu devrais faire ça. » Une autre fois, je faisais le clown en classe, et une camarade, qui était aussi élève au cours Florent, est venue me suggérer de faire un tour dans son cours de théâtre. Le théâtre est quelque chose que je n’envisageais pas du tout à l’époque. J’en avais une image très caricaturale, presque effrayante. Fallait pas mourir bête, alors je suis quand même allé voir, ça m’a donné envie d’essayer et j’ai fait un stage d’impro.
Comme j’ai adoré cette première expérience, je me suis ensuite inscrit aux Enfants Terribles. Là-bas, on m’a mis en contact avec un agent. Je le rencontre, et, pour te dire, à quel point j’étais complètement inconscient de ce monde, en voyant les photos de stars accrochées aux murs, je m’exclame : « Vous connaissez Elie Kakou ??? ». Bien sûr qu’il le connaissait, c’était son agent ! Tu comprends, j’ai grandi dans le 93, à Livry-Gargan, j’étais loin des beaux quartiers… Je sors de ce bel immeuble haussmannien et j’appelle mon frère pour lui raconter que j’étais dans le bureau d’un mec qui connaît très bien Elie Kakou, et là, l’agent me rappelle pour me proposer de travailler avec lui… Je me retrouve quelques jours plus tard dans une série sur France 2, c’est génial, je reçois un premier cachet indécent, et je me dis : « c’est pas possible, ils vont se rendre compte que je suis en train de les arnaquer… ! »
Après ça, je commençais à avoir envie d’écrire une pièce. J’en parle à une comédienne, Rebecca Stella, qui m’encourage à me mettre à l’ouvrage et qui va décider de mettre en scène mon premier spectacle « Monologue pour les vivants ». C’est l’histoire d’un enfant atteint de maladie orpheline dont l’imaginaire grandit à mesure que son monde physique se restreint. Grâce à elle et à d’autres personnes, je me retrouve à jouer cette pièce, au Trianon notamment, à vingt piges… C’est à ce moment-là que c’est devenu concret pour moi et que je suis devenu volontaire dans mon parcours. Maintenant, j’écris tout le temps.
Comment est né le projet de Voyage dans les mémoires d’un fou ?
Autour de 2011, je cherchais un nouveau projet. J’écrivais beaucoup, mais je n’étais pas du tout content du résultat, franchement, c’était de la merde ! (Rires) Je me suis rendu compte qu’après mon premier spectacle, je n’avais plus rien à dire. J’ai fait table rase pour trouver quelque chose de vraiment chevillé au corps. J’ai gratté… J’ai gratté… Et j’ai fini par pondre une espèce de truc moralisateur… Je me suis dit : « Non mais t’es qui pour venir donner des leçons aux gens comme ça ?! » Je n’étais pas du tout content.
Puis, je tombe sur les Mémoires d’un fou de Flaubert. Je trouve que cette forme d’adresse au public – « cher lecteur » – qui conserve en même temps une distance est géniale pour une pièce.
Cela dit, ça ne me donnait pas de légitimité suffisante pour venir dire un texte un poil donneur de leçons. Et c’est là que l’idée de camper un personnage atteint d’une maladie incurable me vient. Ce gars-là croit qu’il est au bout de sa vie, et le fait d’être au pied du mur lui permet de dire sans contraintes tout ce qu’il a sur le cœur. J’en parle avec Jérôme Tomray, qui me mettait en scène dans L’Île des esclaves en 2015, et qui est aussi le directeur du Pixel, et il me propose un créneau. Enfin, je me suis fait aider par quatre copains et des spécialistes de la lumière pour la mise en scène.
Une pièce qui t’a inspiré particulièrement ?
Boulevard du boulevard du boulevard, mis en scène par Daniel Mesguich. C’est la première fois que je me suis dit : « Mais qui sont ces mecs ?! » Bon, il y avait Christian Heck notamment… Le travail des comédiens était complet, avec une précision infinie dans le corps. Et j’ai commencé à comprendre qu’on pouvait aussi faire rire avec le corps.
Une scène de théâtre ?
La scène du sac dans Les Fourberies de Scapin. Parce que c’est la scène qui m’a apporté le plus de doutes et le plus de plaisir. C’est une scène qui demande énormément de travail et qui doit donner l’impression de n’en avoir demandé aucun. Elle nécessite d’être à l’aise avec le jeu, avec le corps, avec la voix. On y est à la fois seul à la manière d’un sketch mais aussi avec son partenaire et avec le public à la manière du café-théâtre. Et je l’aime aussi pour sa drôlerie et pour son message : ruser dans le souci de dénoncer l’injustice et la punir, au risque de se sacrifier soi-même.
Une scène de film ?
Dans La Crise de Coline Serreau, la scène où Patrick Timsit vient dîner chez un homme politique, avec Vincent Lindon, et il lui explique que c’est facile d’être de gauche quand on habite dans un appartement du XVIème…
Un texte de littérature ?
Les Mémoires d’un fou de Flaubert, évidemment, mais je vais être obligé d’en citer d’autres parce que je découvre des auteurs fantastiques tous les jours (ndlr : Lionel donne tout un tas de lectures publiques, notamment dans l’émission Voyage au bout de la nuit sur D8)… Le Horla de Maupassant, et surtout Lettre d’un fou, qui est à l’origine du Horla, et qui m’a bouleversé. Je pense aussi aux Récits d’un joueur itinérant de Jonathan Salamon, un de nos jeunes auteurs contemporains, qui doit avoir 25 ans à peine. J’ai adoré l’histoire, vraie d’ailleurs, de ce gars de 20 ans qui décide de saisir les rennes de sa vie et de prendre son propre chemin.
Le mot de la fin ?
Dans Les Fourberies, Scapin dit : « je hais ces cœurs pusillanimes qui pour trop prévoir les suites des choses n’osent plus rien entreprendre. »
Voyage dans les mémoires d’un fou, de et avec Lionel Cecilio, à 17h au Pixel pendant le Festival d’Avignon OFF. Si vous voulez réserver c’est par ici, ou à ce numéro : 07 82 04 88 01.