Textes & Scènes de Théâtre / Dialogues de Cinéma / Séries / Littérature / Philo / Poésie…
Cher Monsieur Macron,
Je viens de glisser dans l’urne un bulletin portant votre nom, avec énormément d’hésitation…
Comme vous, je fais l’équilibriste entre deux mondes. J’ai grandi dans une famille bourgeoise plutôt conservatrice, dans une ville bourgeoise plutôt conservatrice, avant de faire une « grande école » de commerce plutôt conservatrice… Pas besoin d’être Bourdieu pour voir que j’appartiens à une classe avantagée par son capital socio-économique. J’ajoute que mes études ont conforté des prédispositions matérialistes, en m’offrant une vision du monde quantitative, technique et opportuniste, dont la seule figure de Progrès est l’entrepreneur schumpeterien…
Seulement, ma chance ne s’arrête pas là. Mes parents ont eu la bonne idée de me mettre à l’école publique, j’ai été renvoyé du catéchisme pour insubordination, et, après mon diplôme de gestion, j’ai finalement choisi de me lancer dans le théâtre. Me voilà intermittent du spectacle à la veille de mes trente ans, quasi-femme-à-barbe vivant de littérature, de quelques cachets, de clowneries en entreprise et d’un complément d’allocations… Bref, j’ai le cul entre deux chaises, et je dois concilier mes rêves avec le principe de réalité, comme vous, et comme tous les Français.
Mais j’y arrive. Preuve que ces deux mondes ne sont pas irréconciliables. Preuve que l’économie de marché n’est pas incompatible avec le modèle social français et l’exception culturelle. Vous voyez, on peut être en même temps romantique et pragmatique, bourgeois et bohème, de gauche comme de droite…
Malgré l’habitus, je partage avec bon nombre de compatriotes un formidable espoir de changement. Celui d’une société où les femmes sont aussi libres que les hommes, où chacun peut s’émanciper par l’éducation et trouver les outils de la réussite individuelle, où chacun accède à l’excellence républicaine dès le plus jeune âge, où les enfants se mélangent de la maternelle aux études supérieures, où les instituteurs et les professeurs sont mieux formés et mieux payés, où les méthodes d’enseignement ne sont ni figées ni idéologiques, où la maîtrise du français est un impératif, où la science, l’histoire du monde et les langues étrangères sont fondamentales, où l’esprit critique est une vertu, où la création et la gestion de micro-entreprises peuvent s’avérer utiles (et même ludiques) pour les écoliers, où le digital est utilisé à grande échelle pour accompagner les enseignants et optimiser les dépenses…
Celui d’une économie tournée vers l’écologie (grâce à des investissements massifs dans les secteurs publics et privés), qui vise la croissance à long-terme et l’équilibre, qui encourage les PME et la recherche-développement, qui attire les investissements et les talents étrangers, qui protège ses industries stratégiques, qui partage la valeur avec équité et qui refuse l’évasion fiscale…
Celui d’une justice indépendante, mieux équipée pour traiter ses piles de dossiers vertigineuses et donner une vraie chance de réhabilitation aux délinquants…
Celui d’une Europe qui se refonde et s’harmonise autour de son noyau fondateur, et défend ses valeurs avec des armes diplomatiques et commerciales…
Celui d’une démocratie plus directe, et de responsables politiques qui donnent l’exemple, en paroles, et en actes. (liste non exhaustive)
J’ai fait un pari. J’ai parié sur vous, car j’ose croire que votre rhétorique ambivalente n’était qu’une tactique de plus dans cette grande opération de séduction. Une rouerie qui vise des fins plus nobles. J’ose croire que l’esprit de synthèse que vous semblez incarner va plus loin que le double-langage. Franchement, est-ce qu’un jeune homme peut tomber amoureux de son professeur de français, et déclarer, sans malice, quelques années plus tard : « il n’y a pas une culture française, il y a une culture en France, et elle est diverse »… ? Je ne crois pas. J’ose croire que vos répétitions publiques du Misanthrope traduisaient plus votre amour de la culture française que votre passion du théâtre. J’ose croire que vous mesurez l’ampleur de l’espoir qui repose maintenant sur vos épaules. J’ose croire que vous ne céderez pas à toutes les exigences de vos parrains et sponsors. J’ose croire que vous ouvrirez – un peu- le gouvernement à la société civile. J’ose croire que votre pouvoir de persuasion vous permettra de réunir la majorité la plus large au centre. J’ose croire que votre énergie viendra à bout des verrous et des privilèges. J’ose croire que vous redonnerez à la fonction présidentielle sa dignité.
Enfin, nous savons tous les deux qu’il n’y a pas une minute à perdre, que vous n’aurez jamais de seconde chance, et que, si rien n’a changé dans cinq ans, tout sera alors réuni pour que la révolte éclate et qu’un vrai démagogue ramasse le pouvoir comme un fruit mûr…
En un mot, cher Monsieur Macron, ça y est, vous avez séduit. Il vous reste maintenant à convaincre !
Je n’ai pas glissé le même bulletin dans l’urne, mais j’aimerais bien que ce joli texte inspire la politique à venir 🙂
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