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Michel Houellebecq donne quelques conseils aux poètes

Michel HouellebecqExtrait du recueil de textes de Michel Houellecq intitulé Rester vivant

ARTICULER 

Une force devient mouvement dès qu’elle entre en acte et se développe dans la durée.

Si vous ne parvenez pas à articuler votre souffrance dans une structure bien définie, vous êtes foutu. La souffrance vous bouffera tout cru, de l’intérieur, avant que vous ayez eu le temps d’écrire quoi que ce soit.

La structure est le seul moyen d’échapper au suicide. Et le suicide ne résout rien. Imaginez que Baudelaire ait réussi sa tentative de suicide, à vingt-quatre ans.

Croyez à la structure. Croyez aux métriques anciennes, également. La versification est un puissant outil de libération de la vie intérieure.

Ne vous sentez pas obligé d’inventer une forme neuve. Les formes neuves sont rares. Une par siècle, c’est déjà bien. Et ce ne sont pas forcément les plus grands poètes qui en sont l’origine. La poésie n’est pas un travail sur le langage ; pas essentiellement. Les mots sont sous la responsabilité de l’ensemble de la société.

La plupart des formes neuves se produisent non pas en partant de zéro, mais par lente dérivation à partir d’une forme antérieure. L’outil s’adapte, peu à peu ; il subit de légères modifications ; la nouveauté qui résulte de leur effet conjoint n’apparaît généralement qu’à la fin, une fois l’œuvre écrite. C’est tout à fait comparable à l’évolution animale.

Vous émettrez d’abord des cris inarticulés. Et vous serez souvent tenté d’y revenir. C’est normal. La poésie, en réalité, précède de peu le langage articulé.

Replongez dans les cris inarticulés, chaque fois que vous en ressentirez le besoin. C’est un bain de jouvence. Mais n’oubliez pas : si vous ne parvenez pas, au moins une fois de temps à autre, à en sortir, vous mourrez. L’organisme humain a ses limites.

Au paroxysme de la souffrance, vous ne pourrez plus écrire. Si vous vous en sentez la force, essayez tout de même. Le résultat sera probablement mauvais ; probablement, mais pas certainement.

Ne travaillez jamais. Écrire des poèmes n’est pas un travail ; c’est une charge.

Si l’emploi d’une forme déterminée (par exemple l’alexandrin) vous demande un effort, renoncez-y. Ce type d’effort n’est jamais payant.

Il en va autrement de l’effort général, permanent, consistant à échapper à l’apathie. Il est, lui, indispensable.

Au sujet de la forme, n’hésitez jamais à vous contredire. Bifurquez, changez de direction autant de fois que nécessaire. Ne vous efforcez pas trop d’avoir une personnalité cohérente ; cette personnalité existe, que vous le vouliez ou non.

Ne négligez rien de ce qui peut vous procurer une parcelle d’équilibre. De toute façon, le bonheur n’est pas pour vous ; cela est décidé, et depuis fort longtemps. Mais si vous pouvez attraper un de ses simulacres, faites-le. Sans hésiter.

De toute façon, ça ne durera pas.

Votre existence n’est plus qu’un tissu de souffrances. Vous pensez parvenir à les déployer dans une forme cohérente. Votre objectif, à ce stade : une espérance de vie suffisante.

« Articuler », Rester vivant, Michel Houellebecq, 1991. Vous pouvez acheter le livre en ligne et le récupérer dans la librairie la plus proche via ce lien Place des Libraires : Rester vivant – Michel Houellebecq

→ Voir aussi notre liste de textes et de scènes issus du théâtre, du cinéma et de la littérature (pour une audition, pour le travail ou pour le plaisir)

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Cette entrée a été publiée le 7 août 2017 par dans Littérature, Poésie, et est taguée , , , , .
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