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Max Von Sydow (Le Chevalier) dans Le Septième Sceau d’Ingmar Bergman (1957).
Après dix ans de croisades, un chevalier et son écuyer retrouvent leur pays rongé par la Peste Noire. Le mal est vécu comme une punition divine par les Suédois, qui se préparent à l’Apocalypse. Le chevalier (Max Von Sydow), lui, met en doute l’existence de Dieu. et lorsque la Mort (Bengt Ekerot) lui rend visite, il propose une partie d’échecs afin de retarder sa dernière heure.
Dans la scène ci-dessous, le Chevalier est entré dans une chapelle. Il regarde le Christ en croix au-dessus de l’autel, puis il aperçoit un prêtre encapuchonné derrière une croisée. Il s’approche et s’adresse au clerc…
LE CHEVALIER : Je voudrais me confesser aussi sincèrement que possible, mais mon cœur est vide. Et ce vide est comme un miroir qui renvoie ma propre image. J’y aperçois mon reflet, et je suis saisi par le dégoût, et la peur. Mon indifférence pour les autres m’a placé en dehors de la société. Je vis maintenant dans un monde de fantômes, enfermé dans mes rêves et mes idées.
LE PRÊTRE : Et malgré cela, vous ne voulez pas mourir.
LE CHEVALIER : Si. Je veux mourir.
LE PRÊTRE : Qu’est-ce vous attendez ?
LE CHEVALIER : Je veux savoir.
LE PRÊTRE : Vous voulez des garanties.
LE CHEVALIER : Appelez ça comme vous voulez. (Il s’agenouille.) Est-il vraiment inconcevable qu’un homme parvienne à comprendre Dieu ? Pourquoi se cache-t-Il dans un nuage de pseudo-promesses et de miracles invisibles ? Comment peut-on croire au miracle de la Foi quand elle nous manque ? Qu’est-ce que deviendront ceux qui veulent croire mais qui ne le peuvent pas ? Et ceux qui ne veulent ni ne peuvent croire ? Pourquoi je n’arrive pas à tuer Dieu en moi ? Pourquoi survit-Il en moi de cette façon humiliante, alors que je veux le chasser de mon cœur ? Pourquoi demeure-t-Il, malgré tout, cette réalité moqueuse, dont je ne peux me débarrasser ? Vous m’écoutez ?
LE PRÊTRE : Je vous écoute.
LE CHEVALIER : Je veux savoir ! Je ne veux pas des croyances, ni des hypothèses. Je veux savoir. Je veux que Dieu me tende la main, qu’il me montre son visage et qu’il me parle.
LE PRÊTRE : Et Dieu demeure silencieux…
LE CHEVALIER : Je l’appelle depuis les ténèbres. Mais c’est comme si personne n’était là.
LE PRÊTRE : Peut-être qu’il n’y a personne…
LE CHEVALIER : Alors la vie est une horreur absurde. Aucun homme ne peut vivre face à la Mort, en sachant que tout est néant.
LE PRÊTRE : La plupart des gens ne pensent ni à la mort, ni au néant.
LE CHEVALIER : Mais un jour, on se retrouve au crépuscule de sa vie, face aux ténèbres.
LE PRÊTRE : Oui. Ce jour-là…
LE CHEVALIER : Oui, j’ai bien compris… Nous devons transformer notre peur en idole. Et cette idole, nous devons l’appeler Dieu.
LE PRÊTRE : Vous êtes inquiet, mon fils.
LE CHEVALIER : La Mort m’a rendu visite ce matin. Nous avons commencé une partie d’échecs. Cela m’a fait gagner un peu de temps, et je vais pouvoir régler une certaine affaire…
LE PRÊTRE : Quelle affaire ?
LE CHEVALIER : Toute ma vie, j’ai cherché, j’ai réfléchi, j’ai discuté sans la moindre pertinence, dans un perpétuel non-sens. Toute une vie de néant. Oui, je le dis sans amertume, et sans regrets, car je sais que la plupart des gens vivent ainsi. Mais je veux utiliser ce répit pour accomplir une action qui ait enfin un sens…
LE PRÊTRE : C’est pour cela que vous jouez aux échecs avec la Mort…
LE CHEVALIER : C’est un tacticien redoutable, mais pour l’instant, je n’ai pas perdu une seule pièce.
LE PRÊTRE : Comment arrivez-vous à surpasser la Mort dans ce jeu ?
LE CHEVALIER : Je joue une combinaison avec mes fous et mes cavaliers. Il ne l’a pas remarqué pour l’instant. Et, au prochain coup, j’exposerai son flanc.
Le prêtre tourne son visage vers le Chevalier, qui reconnaît la Mort avec stupeur.
LE PRÊTRE, narquois : Je tâcherai de m’en souvenir.
LE CHEVALIER : Tu n’es qu’un traître. Et un tricheur. Mais nous nous retrouverons. Et je trouverai une autre façon de te battre.
LE PRÊTRE : Nous nous retrouverons à l’auberge. Et nous continuerons notre partie.
La mort s’en va.
LE CHEVALIER, seul : Cette main est bien la mienne. Et je peux la bouger. Je sens mon sang battre sous la peau. Le soleil est encore haut dans le ciel. Et moi… Moi, Antonius Block, je joue aux échecs avec la Mort.
Dialogue extrait du film Le Septième Sceau réalisé par Ingmar Bergman (1957). Traduction en français effectuée par nos soins. N’oubliez pas qu’il est impossible de travailler un texte sans l’œuvre complète. Vous pouvez acheter le film en ligne et le récupérer dans la librairie la plus proche via ce lien Place des Libraires : Le Septième Sceau – Ingmar Bergman