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Si vous cherchez à écrire une pièce de théâtre, voilà un passage de W ou le souvenir d’enfance qui pourrait bien vous servir de prologue. J’ai volontairement laissé des points de suspension à la fin de l’extrait pour vous donner l’envie de remplir les trous, en plongeant dans votre mémoire à vous. Nous avons tous au moins une madeleine de Proust ! Pour commencer, une chaise vous suffira. Mais on peut aussi imaginer que le monologue se déroulera sur le divan d’un psychanalyste. Peut-être que ce thérapeute voudra prendre la parole, qui sait ? Peut-être même que l’évocation du passé donnera vie à d’autres situations et à d’autres personnages sur scène… Enfin, vous voyez que c’est un bon point de départ !
Je ne sais où se sont brisés les fils qui me rattachent à mon enfance. Comme tout le monde, ou presque, j’ai eu un père et une mère, un pot, un lit-cage, un hochet, et plus tard une bicyclette que, paraît-il, je n’enfourchais jamais sans pousser des hurlements de terreur à la seule idée qu’on allait vouloir relever ou même enlever les deux petites roues adjacentes qui m’assuraient ma stabilité. Comme tout le monde, j’ai tout oublié de mes premières années d’existence.
Mon enfance fait partie de ces choses dont je sais que je ne sais pas grand-chose. Elle est derrière moi, pourtant, elle est le sol sur lequel j’ai grandi, elle m’a appartenu, quelle que soit ma ténacité à affirmer qu’elle ne m’appartient plus. J’ai longtemps cherché à détourner ou à masquer ces évidences, m’enfermant dans le statut inoffensif de l’orphelin, de l’inengendré, du fils de personne. Mais l’enfance n’est ni nostalgie, ni terreur, ni paradis perdu, ni Toison d’or, mais peut-être horizon, point de départ, coordonnées à partir desquelles les axes de ma vie pourront trouver leur sens. Même si je n’ai pour étayer mes souvenirs improbables que le secours de photos jaunies, de témoignages rares et de documents dérisoires, je n’ai pas d’autre choix que d’évoquer ce que trop longtemps j’ai nommé l’irrévocable ; ce qui fut, ce qui s’arrêta, ce qui fut clôturé : ce qui fut, sans doute, pour aujourd’hui ne plus être, mais ce qui fut aussi pour que je sois encore.
Mes deux premiers souvenirs ne sont pas entièrement invraisemblables, même s’il est évident que les nombreuses variantes et pseudo-précisions que j’ai introduites dans les relations que j’en ai faites les ont profondément altérés, sinon complètement dénaturés.
Le premier souvenir…
Extrait de W ou le souvenir d’enfance de Georges Perec (1975). N’oubliez pas qu’il est impossible de travailler un texte sans l’œuvre complète. Vous pouvez acheter le livre en ligne et le récupérer dans la librairie la plus proche via ce lien Place des Libraires : W ou le souvenir d’enfance — Georges Perec
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