La Compagnie Affable

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Lettre d’amour de Benjamin Constant à Madame Récamier

Madame Juliette Récamier tableau Jacques-Louis David Musée du Louvre

Madame Récamier peinte par Jacques-Louis David (Musée du Louvre).

Voilà une belle lettre d’amour que la jolie Juliette Récamier (ci-dessus, vous la voyez alanguie sur le fauteuil auquel elle a donné son nom) sut inspirer à Benjamin Constant :

Pardon, pardon, j’ai peut-être tort à quelques égards, mais dans une situation si cruelle, est-il étonnant qu’on soit susceptible ? Et si vous vouliez, je ne le serais pas. Un mot de vous remet du calme dans mon âme, et de la raison dans ma tête.

Mais pourquoi faut-il toujours que j’arrache ce mot ? Je vous jure que cela me tue, et que je suis plus épuisé d’une nuit de telles souffrances, que de je ne sais quelles douleurs physiques dont tout le monde frémirait. Ce n’est pas ma faute si je vous aime tant ; et pourtant je ne vous témoigne que je vous aime que de la manière que vous le voulez. Il est certain que si vous m’aviez écrit une ligne hier matin, vingt-quatre heures d’agonie m’étaient épargnées. Je renais à présent, mais je renais comme après une crise affreuse où toutes les forces ont été brisées.

Croyez-vous que cela soit volontaire ? Croyez-vous que je ne donnerais pas la moitié de ma vie pour retrouver pendant l’autre moitié le repos que j’ai perdu ?

Au nom du ciel, je vous en conjure à genoux, au nom de ma vie, je me connais bien, je n’exagère rien, je ne joue point le désespoir quand je n’en ai pas, rendez-moi ces moments où je pouvais causer avec vous. Ils suffisent à m’aider à vivre, mais vous vous êtes malgré vous emparée de moi, et quand le lien qui m’unit à vous me paraît se rompre, je ne puis que tomber dans un délire qui est plus fort que moi, et je détruis le peu de moyens qui me restent de me relever de ma triste et douloureuse position. Je me trouve maudit de Dieu quand vous m’abandonnez. Toute la nature me semble me repousser. L’abandon, l’opprobre, la malédiction semblent m’entourer. Il s’en est peu fallu que je ne me tuasse cette nuit. J’ai voulu prier. J’ai frappé la terre de mon front. J’ai invoqué la pitié céleste. Point de pitié. Il se peut que je commence à devenir fou. Une idée fixe, depuis un an, peut bien rendre tel. Quelle année, grand Dieu !

Mais vous pouvez tout. N’est-ce rien que de sauver un être qui vous aime ? De sauver sa vie et peut-être son âme ? Car s’il y a un dieu, c’est mal de se révolter comme je le fais, de chercher du secours contre le sort, par tous les moyens, de maudire sa destinée, d’offrir sans cesse, en échange d’une heure passée avec vous, tout ce qu’on peut espérer sur la terre et après la terre. Dites-vous donc que je n’ai de forces qu’en vous voyant ; qu’un jour passé sans vous me brise, que quand je ne viens pas chez vous, c’est que je me fais une violence qui me bouleverse, que vous êtes le ciel pour moi, que je ne puis me passer de vous qu’en éprouvant l’enfer tout entier. Il y a quelque chose de mystérieux dans ce lien. Une passion n’est pas si invincible et une passion si peu encouragée : une passion exige autre chose. Je me contente de tout. Respirer près de vous, et pouvoir vous parler suffit à ma vie.

Je n’en puis plus d’épuisement. Mais je vous verrai, et je respire.

Lettre de Benjamin Constant à Madame Récamier. Si vous souhaitez lire d’autres extraits de leur correspondance, vous pouvez acheter un recueil papier édité par la BnF sur ce lien : Lettres de Benjamin Constant à Madame Récamier

→ Voir aussi notre liste de textes et de scènes issus du théâtre, du cinéma et de la littérature (pour une audition, pour le travail ou pour le plaisir)

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Cette entrée a été publiée le 28 mars 2018 par dans Littérature, et est taguée , , , , .
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