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Capture d’écran de la vidéo de présentation de la pièce Les Nuits de la colère.
En 2015, j’avais rencontré Pierre Boucard pour discuter du Paquebot Tenacity de Charles Vildrac, qu’il présentait pour la première fois en Avignon avec The Big Cat Company. Cette année, l’équipage félin est de retour au Festival OFF avec Les Nuits de la colère d’Armand Salacrou, l’occasion d’un nouvel échange !
V. M. : Comme Charles Vildrac, Armand Salacrou n’est pas vraiment un auteur à la mode… Comment l’avez-vous découvert ?
P. B. : Tout d’abord merci à toi de suivre l’actualité de la compagnie. Tu as raison de dire que je fais un peu dans la redécouverte des répertoires oubliés ! Je te confirme que Salacrou n’est plus un auteur à la mode ! En tractant dans les rues d’Avignon, on se compte que c’est un auteur qui appartient à une génération : les personnes de plus de 60-65 ans nous disent très souvent : « Ah Salacrou, mais naturellement qu’on connaît ! » ; alors que pour les jeunes, c’est terra incognita ! Et cela reflète le fait que l’on passe de mode très vite ! Dans mon cas, je l’ai découvert au cours Cochet. Jean-Laurent Cochet a monté plusieurs Salacrou (notamment Histoire de rire) et nous en a parlé en cours. Je suis allé m’acheter les pièces et ç’a a été une belle rencontre pour moi, puisque je les ai quasiment toutes lues à la chaîne !
V. M. : Qu’est-ce qui t’as séduit dans Les Nuits de la colère ?
P. B. : Je ne vais pas te faire mon laïus de tractage, mais c’est l’absence de manichéisme de la pièce. J’ai toujours été attiré par cette période et par les ouvrages qui tournaient autour de la question : « Et nous, qu’aurions nous fait? » Souvent, je lisais des ouvrages qui étaient basés sur l’opposition « résistants vs nazis » ou « résistants vs collabos ». Personnellement, ça ne me parlait pas, hormis le fait de dire que les nazis ou les collabos étaient des salauds ! Mais ça, on le sait ! Ce que j’aime dans cette pièce, c’est que si elle rend hommage aux résistants (Salacrou a participé à la Résistance), c’est surtout une vision de la France silencieuse. De ces 98% de Français qui ont essayé de vivre, comme ils pouvaient, au jour le jour. Et, comme là, on avait affaire à des gens normaux, j’ai réussi à m’identifier.
V. M. : Est ce que la pièce permet de mieux comprendre le contexte de l’Occupation, comme le film Uranus par exemple ?
P. B. : Oui et non. Oui, parce que, clairement, le personnage principal représente un Français moyen qui essaie de vivre avec sa femme et ses filles, en faisant en sorte que l’Occupation change le moins possible son quotidien. Bernard Bazire (ndlr : le personnage principal) représente ces gens qui, pendant l’Occupation, ont fait le choix de regarder ailleurs, et de tout accepter, tant que leur vie privée n’en souffrait pas. Et ce ne fut clairement pas le cas de tout le monde ! Mais je dois dire que cela ne reflète qu’une partie de l’Occupation, ou en tout cas, la vision qu’en avait Salacrou. En cela, la pièce n’a pas vocation à englober toute la réalité de cette période éminemment complexe. De plus, Salacrou a un point de vue assez marqué sur la période. Son point de vue est qu’il fallait résister. Il fallait dire non.
V. M. : Est ce que tu as voulu une mise en scène réaliste, assez cinématographique, comme c’était le cas pour Le Paquebot Tenacity ?
P. B. : Là aussi, je vais te faire une réponse de Normand (d’ailleurs, Salacrou était havrais !). Oui et non. Oui, parce que la pièce est dans un contexte temporel marqué, et qu’on assume le texte. Et dans bien des scènes de la pièce, les personnages vivent des situations très concrètes (soirées entre amis…). Par contre, dans bien des aspects, la pièce n’est absolument pas réaliste, car elle amène des vivants et des morts à se parler ! Je pouvais difficilement la placer tranquillement dans un salon bourgeois des années 40 ! De plus, la pièce est construite sur une série de flashbacks, donc il me fallait quelque chose de plutôt symboliste pour ne pas avoir à surcharger le plateau en décors (et faire péter notre budget Avignon !) (Rires.) J’ai fait le choix de placer l’action dans un décor très stylisé, qui peut rappeler un intérieur bourgeois, mais également une salle de tribunal.
V.M. : Quelles pièces de Salacrou tu nous recommandes ?
P.B. : Pour moi, les plus fortes (hormis Les Nuits de la colère) sont :
Boulevard Durand, une formidable pièce sur une espèce d’affaire Dreyfus, dans le milieu ouvrier du début XXème, L’Inconnue d’Arras et Les Fiancés du Havre.
V.M. : Une citation de la pièce pour conclure ?
P.B. : « Passer trente ans, un homme est responsable de sa figure, il ressemble à ce qu’il s’est laissé devenir. »
Merci à Pierre Boucard pour cet entretien. The Big Cat Company joue Les Nuits de la colère à 14h10 au Théâtre du Roi René jusqu’à la fin du Festival d’Avignon OFF 2018.