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« Ta fable n’est pas trop morale mais elle est gaie. »
Une spectatrice de Dialogue à Fables a eu la gentillesse de nous transmettre cette fable de Diderot qu’on trouve dans la bouche de Jacques le Fataliste*. Elle est tout à fait à mi-chemin entre l’apologue et les contes grivois que nous a laissés le fabuliste :
JACQUES : Un jour la Gaine et le Coutelet se prirent de querelle ; le Coutelet dit à la Gaine: « Gaine, ma mie, vous êtes une friponne, car tous les jours, vous recevez de nouveaux Coutelets… La Gaine répondit au Coutelet : Mon ami Coutelet, vous êtes un fripon, car tous les jours vous changez de Gaine… Gaine, ce n’est pas là ce que vous m’avez promis… Coutelet, vous m’avez trompée le premier… » Ce débat s’était élevé à table ; Cil, qui était assis entre la Gaine et le Coutelet, prit la parole et leur dit : « Vous, Gaine, et vous, Coutelet, vous fîtes bien de changer, puisque changement vous séduisait ; mais vous eûtes tort de vous promettre que vous ne changeriez pas. Coutelet , ne voyais-tu pas que Dieu te fit pour aller à plusieurs Gaines ; et toi, Gaine, pour recevoir plus d’un Coutelet ? Vous regardiez comme fous certains Coutelets qui faisaient vœu de se passer à forfait de Gaines, et comme folles certaines Gaines qui faisaient vœu de se fermer pour tout Coutelet ; et vous ne pensiez pas que vous étiez presque aussi fous lorsque vous juriez, toi, Gaine, de t’en tenir à un seul Coutelet ; toi, Coutelet, de t’en tenir à une seule Gaine. »
Ici le maître dit à Jacques: « Ta fable n’est pas trop morale mais elle est gaie. »
Voilà la recette du Maître des Eaux-et-Forêts de Château-Thierry préconisée dans la préface des Fables : « C’est ce qu’on demande aujourd’hui : on veut de la nouveauté et de la gaîté ». Et le poète aurait sans doute regardé cette leçon sur l’inéluctabilité de l’infidélité d’un bon oeil… Du La Fontaine tout craché !
(*Diderot, Jacques le Fataliste et son maître)