La Compagnie Affable

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Weber ranime Gustave (Flaubert) au Théâtre de l’Atelier

Gustave Flaubert Théâtre de l'Atelier Jacques WeberQuand le rideau métallique du Théâtre de l’Atelier s’est levé, j’ai d’abord cru revoir la mise en scène d’Ivan Morane de l’Alligator célinien : un bonhomme est étendu sur un petit lit dans un intérieur dépouillé… Seulement, quand GustaveWeber vient secouer les puces d’Eugène, son pseudomestique assoupi, quasi-Bernardo et véritable allégorie rurale du peuple français, on comprend à qui on a affaire. A coups de gueulements, l’imposant Gustave Flaubert nous transporte à Croisset en janvier 1854.

Dernière année de correspondance avec Louise Colet. La déception amoureuse perce à travers ses propos sur l’incompréhension féminine du goût viril pour la prostituée. Chez l’homme, le corps et l’esprit sont deux réalités, tandis qu’ « en amour, les femmes n’ont pas d’arrière-boutique ». Elles reprochent à leurs amants de fréquenter le bordel parce qu’ « elles prennent leur cul pour leur cœur et croient que la lune est faite pour éclairer leur boudoir. »

L’écrivain en vient même, dans un style baudelairiano-platonicien, à présenter la courtisane comme une passerelle entre l’Eros vulgaire et l’Eros céleste :

On est si triste après une putain et on rêve si bien d’amour.

Cette justification transsubstantialiste lui permet de retourner les reproches de sa maîtresse : « Quand on aime complètement, on aime ce que l’on aime tel qu’il est, avec ses défauts et ses monstruosités ; on adore jusqu’à la gale, on chérit la bosse, et l’on aspire avec délices l’haleine qui vous empoisonne. Il en est de même au moral ».

Merde, quel amant ! Il n’y a rien ici de faussement poétique ou de vulgaire (éventuellement, un poil de mauvaise foi), et, pour cause, Flaubert est le pourfendeur de la poétisation et de la platitude réaliste. Il est suspendu entre ciel et terre. Pour lui, rien de plus affligeant que les vers crémeux et les images romantiques attendues de Lamartine, à peine bons pour le bas peuple. Le jugement est sans appel : c’est « un esprit eunuque, la couille lui manque ». C’est une tare de la forme poétique, « le vers est si commode à déguiser l’absence d’idée ». Trop de verbe. Et trop de petits égos étriqués. Musset passe aussi à la casserole.

Cessons de nous passionner pour le petit, le laid, l’éphémère.

Pas question de représenter faiblement ce que tout le monde ressent faiblement. Flaubert vise l’Homme. Seul Shakespeare trouve grâce à ses yeux. Héraut du Beau et de l’Art pour l’Art, l’écrivain arrache chaque page au néant, dans un numéro d’équilibre dangereux entre un « cœur humain » et l’Idée.

Gustave Correspondances Flaubert Théâtre de l'Atelier Jacques WeberIl crache sur les poètes à « mission sociale ». Même s’il défend Hugo (on avance dans le temps), dans une fausse tribune hilarante adressée à l’Académie, contre les assauts de la morale bourgeoise (« il faudrait brûler les bourgeois dans un grog à 11 000 degrés ! ») et de sa sottise établie en convention. S’il s’agit « d’élever le pauvre au niveau de la bêtise du bourgeois, à bas la démocratie ! » Quitte à brasser des âneries et du vent, autant essayer d’en faire un recueil pour édifier les générations futures (le Dictionnaire des idées reçues) ou un roman (son fameux projet d’écrire un roman sur le rien).

« Je suis un bourgeois retiré à la campagne », voilà comment l’auteur conclue une heure et demi de soliloque immense, mené à tambours battants par Jacques Weber. Le comédien fait vibrer à merveille cet Alceste hypersensible, éructant divinement tout ce qu’il ne digère pas : les compromis de la capitale, les faux-semblants de la littérature contemporaine et la censure idiote de l’Ordre Moral…

Extrait résonnant des cinq volumes des Correspondances de Flaubert édités par la Pléiade, Gustave est une réflexion sur le paradoxe moderne du bourgeois-bohême, coincé entre la jouissance matérielle crétine et l’intuition du Beau. On en prend pour des siècles avec cette dernière saillie :

A force de chercher à la fois le Bonheur et le Beau, on n’atteint ni à l’un ni à l’autre.

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Cette entrée a été publiée le 15 décembre 2014 par dans Littérature, Théâtre, et est taguée , , , , , , .
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