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Quand le rideau du Vingtième Théâtre s’ouvre, nous entrons dans une atmosphère de carnaval gothique. Des personnages masqués dansent en cercle, au son d’une musique qui semble sortie du ventre de la terre, devant les deux têtes de démon qui encadrent une herse aux épines métalliques. La tonnelle suspendue au-dessus de l’auberge rappelle les sculptures de brindilles maléfiques du Blair Witch Project ou de True Detective. Un homme à tête de poisson fait une apparition spectrale. Le sommeil de la raison engendre des monstres…
Ambiance de bacchanale. Le spectateur tape l’incruste dans cette Naples crépusculaire un peu comme Tom Cruise à la messe noire d’Eyes Wide Shut. Le Moyen-Age s’achève dans une odeur de soufre, tandis que la jeunesse étouffe d’un amour absolu sous le corset de vieilles institutions qui tentent de maintenir un ordre moribond. C’est tout le drame du romantisme qui est contenu dans ce premier tableau signé Stéphane Peyran.
L’Octave (Stéphane Peyran, encore lui) paillard qui brandit une « [bite] d’Arlequin » en riant est l’allégorie de cet entre-deux-mondes : « s’il regarde en bas, la tête lui tourne ; s’il regarde en haut, le pied lui manque. » S’il regarde à gauche, il voit son jeune ami Coelio (Guillaume Bienvenu) qui désespère d’être aimé par Marianne (Margaux Van Den Plas) ; s’il regarde à droite, il voit cette même Marianne, qui a reçu le « don fatal » de la beauté :
Je ne sais pas ce que j’ai dans la gorge, je suis triste comme une procession.
Malgré le lacryma christi, il est peu à peu contaminé par la mélancolie de celui qui laisse passer « le bonheur d’une vie entière ». Les caprices de Marianne se révèlent également en douceur, même si on sent d’emblée qu’elle sait ce qu’elle veut, et les scènes-phare avec Octave sous la tonnelle (moins hostile qu’au début, grâce au jeu de lumière) sont joliment retranscrites. Claudio (Axel Blind) est impressionnant de violence. Son fidèle Tibia (Robin Laporte) boiteux nous fait sourire (« un arrêt de mort est une chose superbe à lire à haute voix. »).
Le reste de la distribution est bien choisi et tous nous font entendre le texte de Musset à merveille. Les costumes sont beaux et les propriétaires ne flottent pas dedans, c’est agréable ! J’ai aussi apprécié le final sobre en avant-scène au pied du rideau tiré. Petit regret toutefois : l’assassinat de Coelio est un peu symbolique à mon goût. C’est la seule fois où je suis tombé d’accord avec les lycéens bruyants qui prolongeaient volontiers les scènes de charivari, pour nous plonger, sans doute, dans « l’ivresse passagère d’un songe. »