La Compagnie Affable

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Dialogue OFFable avec Thibault Rossigneux, créateur du projet Binôme

Thibault Rossigneux Compagnie Les sens des mots

Après notre entretien avec Marie Sorbier, nous rencontrons aujourd’hui Thibault Rossigneux, le directeur artistique de la Compagnie Les Sens des Mots, pour discuter de l’initiative Binôme, que vous pourrez aller voir à la Maison Jean Vilar durant le Festival d’Avignon, de son parcours et de ses autres projets.

Bonjour Thibault, est-ce que tu peux nous présenter ton parcours professionnel ?

J’ai commencé le théâtre très tôt.  J’ai créé ma première compagnie à 11 ans ! Elle s’appelait la Compagnie Poclin, en hommage irrévérencieux à Molière. Je mettais en scène des copains du collège. J’ai continué en faisant du ciné et de la télé. J’ai eu de la chance, mes premiers castings se sont bien passés et j’ai pu travailler tout de suite.

Je suis revenu au théâtre à 24 ans en jouant dans des boulevards avec Galabru notamment. Puis je me suis orienté vers le théâtre contemporain public.

J’ai rencontré Camille Chamoux, j’ai joué dans ses mises en scène d’auteurs contemporains (Normand Chaurette…), on a co-écrit la mini-série « Cam-X » pour la télé… Et puis j’ai rencontré plein d’autres artistes (comédiens, auteurs, metteurs en scène, musiciens, créateur lumières…) avec qui nous formons depuis une vraie « bande ». C’est une vraie chance d’avoir une famille de théâtre. Si je peux donner un conseil aux jeunes comédiens, essayez de composer la vôtre dès le départ.

On rencontre souvent ses partenaires de théâtre en cours, est-ce que tu as suivi une formation théâtrale ?

Je n’ai pas eu de formation classique, à proprement parler. J’ai suivi les cours de l’Ecole Tania Balachova pendant deux ans. Le gros avantage de ce cours était que je pouvais travailler en même temps. J’avais commencé à bosser dans la télé et le cinéma, j’avais un petit boulot et je faisais un Deug de swahili aux langues O et des études de sciences po à Nanterre en même temps ! C’était pour moi comme une pratique active, un entraînement.

Nous n’avions pas vraiment de travail très technique. Vera Gregh, qui avait repris le cours, partait des propositions des comédiens. Elle nous faisait beaucoup travailler sur des textes de Dubillard par exemple.

J’ai trouvé les cours plus durs psychologiquement que le métier car il y avait beaucoup de concurrence, des « stars de cours » pas très accueillantes, et un regard assez dur.

Il y a une sacrée variété de thèmes abordés dans les projets de la compagnie : la science, on y reviendra, l’environnement, la famille…

Je suis le dernier d’une fratrie de 8 enfants et la famille est un thème qui revient naturellement dans mes projets (ateliers-théâtre : TOAST). Plus généralement, le thème du vivre-ensemble m’intéresse. Nous avons par exemple écrit avec Elizabeth Mazev une série de pièces sur le voisinage : REDUIT, que nous avons jouée à la Faïencerie-Théâtre de Creil, en Algérie… Ce sont deux comédiens voisins qui jouent tous les personnages de leur copropriété. C’est construit comme une série, avec des épisodes.

On a vu que tu avais créé une mini-série avec Camille Chamoux, est-ce que tu t’inspires aussi des formats de la télé ?

J’ai travaillé comme directeur de casting pour les émissions de télé-réalité et j’ai constaté que certains formats étaient très efficaces, mais servaient des propos complètement débiles. J’ai repris ces formats au service d’une réflexion, d’un débat autour de questions un peu plus sérieuses.

Je me suis inspiré de la télé-réalité pour organiser « Ateliers de l’Altérité » et VaniT.V – Idole mode d’emploi avec des étudiants de l’université de Nanterre :

Un, je sais pas qui je suis… Deux, j’ai pas une thune… Du coup, il faudrait que je devienne célèbre.

Tu as aussi fait une série courte et décalée avec des collégiens et des scientifiques sur la Préhistoire, Préhistoscène, on sent une volonté de vulgarisation dans tes projets, est-ce que tu es le nouveau Jamy Gourmaud (de l’émission C’est pas sorcier)?

Je n’aime pas le mot vulgarisation, il est trop connoté. Je préfère parler de découverte ou de transmission. Je pense qu’on a une mission de dialogue, surtout avec les jeunes. Il faut susciter le débat.

En travaillant avec des étudiants, je me suis rendu compte que beaucoup ne voulaient pas être comédiens, mais voulaient juste devenir célèbres. J’ai été également frappé par leur absence de point de vue personnel sur la société. Quand j’étais à Nanterre, on s’enflammait pour tout, on était ridicules, mais on était animés !

Ce qui compte pour moi dans le théâtre c’est la découverte, la convivialité, la générosité, la rencontre, le décloisonnement… C’est merveilleux de découvrir un texte qui nous parle, de nous projeter dedans, d’échanger en équipe ; et quand ça prend forme, c’est un vrai moment de bonheur… !

Tu parles de « décloisonnement », comment t’est venue cette idée de Binôme ?

Je ne suis pas du tout scientifique à la base, j’ai fait un bac B (ES). Mais il est arrivé un moment dans ma carrière où le métier est devenu mois généreux, plus irrégulier. Je me suis retrouvé entre deux âges, les castings sont devenus plus difficiles, et je suis devenu très dépendant d’autrui. Je voulais être moteur, mettre au jour mes idées. A ce moment-là, Universcience (l’établissement public qui gère la Cité des Sciences et le Palais de la Découverte) avait lancé une thématique Art/Science. Je leur ai proposé le concept et ils ont tout de suite accepté.

C’est comme ça que j’ai créé la Compagnie Les Sens des Mots en 2009. On l’a lancée à l’occasion de la Nuit Blanche avec une installation à Bercy Village. Il y avait des saynètes sur l’environnement dans des vitrines, les gens devaient pédalaient pour faire marcher l’animation. Les épisodes de « Cam-X » étaient projetés dans leur décor…

Et puis, on a joué en 2010 au Festival d’Avignon. Au début, c’est Universcience qui produisait Binôme, puis, à partir de 2012, nous sommes passés en co-production. D’autres partenaires nous ont rejoint : l’Inserm, l’IRD, le CNRS, le CEA, la SACD, l’Ineris… L’année dernière on a joué « Chaos Mouse » de Frédéric Sonntag (dans sa version anglaise traduite par Chris Cambell) au Festival Fringe d’Edimbourg.

Est-ce que tu peux expliquer le concept de Binôme ?

Le principe du projet Binôme est d’organiser une rencontre unique entre un chercheur et un auteur qui ne se connaissent pas. Ils ne savent pas qui ils vont rencontrer. Ils n’ont que 50 minutes pour échanger puis ils n’ont aucun contact pendant le mois et demi alloué à l’écriture, qui s’inspire librement de l’entretien. Le résultat est obligatoirement une pièce de 30 minutes écrite pour trois voix. C’est la répétition de ce protocole qui donne la valeur à la série des Binômes.

Déroulement d’un Binôme :

– 15 minutes : extrait vidéo de la rencontre entre le chercheur et l’auteur

– 30 minutes : lecture jouée avec un accompagnement musical

– 3 minutes : vidéo de la réaction du chercheur

– 20 minutes : débat en présence du binôme auteur/chercheur

A ce jour, 25 binômes ont été créés, dont les cinq derniers seront présentés à la Maison Jean Vilar au Festival d’Avignon.

(Ndlr : voici la liste impressionnante des spécialités des chercheurs qui ont participé aux 6 éditions de Binôme : microbiologie des environnements extrêmes, écotoxicologue, physiopathologie de l’obésité, hydrogéologie, paléoclimatologie, neurosciences, anesthésie-réanimation, ophtalmologie, biologie des populations, biotechnologies végétales, génétique moléculaire, écologie, immunologie, ethnobiologie, zoologie, mathématiques, neurophysique, physiologie, physique nucléaire, physique des particules, biologie, climatologie, nanosciences, neurosciences, neurobiologie, biogéochimie, explosifs…)

Au début, je pensais que les sciences « dures » comme la physique des particules fonctionneraient mieux que les sciences « molles » comme la sociologie, l’ethnologie… Il s’avère que les deux marchent très bien pour les Binômes. L’intérêt est de travailler avec un spécialiste, un chercheur qui se passionne pour un seul objet d’étude très limité, parfois toute une vie, et un artiste qui passe d’un projet à un autre. C’est un peu la rencontre d’un monomane et d’un polygame. Souvent, les chercheurs sont étonnés de voir comme un auteur révèle des choses qui leur échappaient, ou qu’ils n’ont exprimé que de manière inconsciente. C’est la magie du texte qui nous dépasse : auteur, chercheur, comédiens… L’œuvre devient autonome. Et c’est sans doute plus fort qu’une œuvre engagée, qui clame haut et fort ses revendications.

As-tu déjà envisagé de travailler avec des comédiens issus d’un genre à la mode qui attire les jeunes dans les théâtres : le stand-up ? C’est une véritable tendance dans le domaine scientifique : Ma thèse en 180 secondes, FameLab, TedX, Youtube…

Les contraintes des Binômes ne le permettent pas puisque le résultat de la rencontre est une pièce à trois voix. Le seul-en-scène m’intéresse moins parce qu’il n’y a pas d’échange sur le plateau. De manière générale, le monologue ne correspond pas à mon projet théâtral.

Vous jouez souvent « hors les murs », est-ce que vous jouez parfois chez les particuliers ?

Pas de jeu chez les particuliers. Nous jouons pour un public de 100 personnes minimum, sinon c’est impossible de rémunérer l’équipe correctement. Nous essayons de ne pas dépasser 300 personnes car la représentation est suivie d’un débat et nous avons besoin d’une vraie proximité avec le public.

Tu as un peu touché à tout : jeu, mise en scène, réalisation de documentaires… Quels sont tes activités aujourd’hui ?

Je vais continuer à faire un peu d’image, parce que j’ai toujours autant de plaisir à jouer. Mais je me concentre sur les projets de la Compagnie, et la mise en scène.

Le comédien qui t’inspire le plus ?

Patrick Dewaere. Il n’y a pas de cloison entre ce qu’il donne et l’image qu’on a de ce qu’il est. C’est un modèle de générosité.

La découverte scientifique qui t’émerveille le plus ?

Un ethnobiologiste avec lequel nous avons travaillé a dit à propos des peuples chasseurs-cueilleurs des forêts tropicales qu’ils étaient nos contemporains. Cela m’a fait réaliser qu’on les présentait souvent dans les documentaires comme nos ancêtres, et ça a changé mon point de vue sur notre société obsédée par la course au progrès.

Le théâtre qui t’inspire ?

Les pièces de Lagarce comme Dernier remords avant l’oubli. La Réunification des deux Corées de Joël Pommerat .

Un mot qui t’inspire ?

Obsolescence est un mot très joli, qui sonne bien, mais qui cache une sombre réalité et devient affreux quand on lui accole programmée. C’est d’un cynisme absolu. Et j’ai le cynisme en horreur.

Je remercie Thibault Rossigneux pour cet entretien. Si les projets de la Compagnie Les Sens des Mots vous intéressent aussi, vous trouverez plus d’information sur leur site Internet : http://www.lessensdesmots.eu/ ou sur leur page Facebook.

Si vous passez au Festival d’Avignon, les représentations de la 6ème édition de Binôme auront lieu les 12, 13, 15, 16 et 17 juillet 2015, à 17H30, à la Maison Jean Vilar, 8 bis rue de Mons, Avignon.

  • Le 12 juillet : La Valise de Aiat Fayez à la suite de sa rencontre avec Moustafa Bensafi, chercheur en neurosciences spécialiste de la perception olfactive, CNRS.
  • Le 13 juillet : Stimulation cérébrale profonde, de Camille Chamoux à la suite de sa rencontre avec Eric Burguière, chercheur en neurobiologie, CNRS – INSERM – ICM.
  • Le 15 juillet : Les Larmes Acides de Bonne-Maman, de Julie Aminthe à la suite de sa rencontre avec Marc Tedetti, océanographe biogéochimiste, IRD – MIO – OSU Pythéas.
  • Le 16 juillet : Tir [je n’étais pas amoureux de toi], de Pauline Peyrade à la suite de sa rencontre avec Emmanuel Leprette, ingénieur spécialiste des explosions accidentelles, INERIS.
  • Le 17 juillet : Gros grand bruyant mais fiable à 100%, de Léonore Confino à la suite de sa rencontre avec Christine Ménaché, responsable du centre de calcul CCRT, CEA.

Réservations et informations : binome.resa@gmail.com / 07 83 59 42 66

Découvrez « Dialogue OFFable« , notre série d’entretiens avec les acteurs du Festival d’Avignon

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