La Compagnie Affable

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Les Disparus de Saint-Agil de Christian-Jaque

Les disparus de Saint-Agil Christian-Jaque film affiche Michel Simon Erich Von Stroheim.JPGVoici deux scènes extraites du film Les Disparus de Saint-Agil de Christian-Jaque (1938). Dans un pensionnat, trois garçons – Beaume, Macroy et Sorgues – ont formé une société secrète, « Les Chiche-Capon » (nom d’ailleurs repris par un trio  – puis quatuor – d’humoristes actuel). Ils se réunissent tous les soirs sous la présidence de Martin, le squelette du cours de Sciences Nat’, pour étudier les conditions d’un départ aux États-Unis.

MACROY : Si Christophe Colomb avait fait comme nous, il aurait rien trouvé du tout.

Sorgues, est témoin d’un phénomène surnaturel, dont il fait part à toute la classe durant le cours d’anglais de M. Walter (Erich Von Stroheim), avant de disparaître mystérieusement…

WALTER : J’ai choisi pour la dictée d’aujourd’hui un auteur qui ne fait pas partie de notre programme, mais j’ai pensé que cela vous changerait des classiques. Il s’agit de Wells : W-E-L-L-S, H. G. (Avec l’accent anglais.) H. G. Wells, qui a écrit de nombreux romans, dont le plus célèbre est celui-ci : L’Homme invisible. En anglais : The Invisible Man. Je vais vous lire d’abord quelque passage. L’homme invisible, c’est un homme qui a trouvé le moyen de disparaître à volonté. Évidemment, c’est une histoire très fantastique, et invraisemblable.

SORGUES : Non, c’est pas invraisemblable ! Je l’ai vu, moi !

WALTER : Vous avez lu le livre ?

SORGUES : Non, M’sieur. Mais moi, j’en ai vu un.

WALTER : Un quoi ?

SORGUES : Un homme qui apparaît et disparaît.

(Éclats de rire dans la classe.)

WALTER : Silence, s’il-vous-plaît ! Silence ! Sorgues, je vous préviens, je n’aime pas ce genre de plaisanteries. Maintenant, je dicte : « Chapter one. The Strange Man’s Arrival. The stranger came early in February… »

SORGUES : Mais je l’ai pas rêvé, puisque je l’ai vu !

WALTER : Quoi ? Qui a parlé ? C’est vous, Sorgues, qui avez parlé ?

SORGUES : Oui, M’sieur. Je vous dis que j’ai vu comme je vous vois.

WALTER : Qui ?

SORGUES : L’homme qui apparaît et disparaît.

(Nouveaux éclats de rire.)

WALTER : Messieurs, messieurs ! Du silence, je vous prie ! Keep quiet! Sorgues, je regrette, je ne peux pas tolérer qu’on se moque de moi de cette façon. Je vous mets à la porte. Présentez-vous avec ceci à M. le Directeur. J’avais pensé vous être agréable à tous en variant un peu le programme, mais, à mon regret, je constate que je me suis trompé. En conséquence, le sujet de la dictée d’aujourd’hui ne sera pas L’Homme invisible, mais la vie de Shakespeare !

LE DIRECTEUR : Il y a du mystère dans les livres, mais, dans la vie, c’est rare.

Le professeur de dessin, M. Lemel (joué par le génial Michel Simon), semble savoir quelque chose. Il reçoit la visite d’un personnage inquiétant.

LEMEL : Oh ! Vous n’auriez pas dû venir ce soir ! Il s’est passé quelque chose…

CÉSAR : C’est précisément parce qu’il s’est passé quelque chose que je suis venu. D’abord, je pense que vous ne savez pas exactement ce qui s’est passé.

LEMEL : (Il se sert un verre.) Evidemment ! On ne me met au courant de rien ! On se sert de moi, on m’espionne, on me guette !

CÉSAR : Vous avez la folie de la persécution, c’est mauvais.

LEMEL : J’en ai assez, moi ! J’ai l’impression que tout le monde me soupçonne, c’est intenable ! Il y a des moments où j’ai envie de parler, de crier ! J’étouffe, vous comprenez !

CÉSAR : Si vous parliez, M. Lemel, vous risqueriez d’étouffer davantage. Je peux même dire que vous risqueriez d’étouffer définitivement.

LEMEL : Qu’est-ce que vous êtes venu faire ici ?

CÉSAR : Je suis venu vous tenir compagnie parce que je sais que vous n’aimez pas boire seul. Une cigarette… ?

LEMEL : Non merci.

CÉSAR : Moi non plus. Qu’est-ce que vous lisez, là ?

LEMEL : La vie d’Albert Dührer. Un artiste génial.

CÉSAR : Ça vous intéresse la vie des autres ?

LEMEL : Forcément, puisque la mienne est ratée.

CÉSAR : De quoi vous plaignez-vous ? Il me semble que vous avez les moyens de vivre largement.

LEMEL : Vivre largement ?

CÉSAR : Non ? Je ne suis pas curieux, mais j’aimerais savoir ce que vous faites de votre argent.

LEMEL : Vous voyez ces reproductions d’Albert Dührer ? Et bien ce ne sont pas des reproductions, ce sont des originaux ! Voilà ce que je fais de mon argent. D’admirables œuvres d’art ! D’authentiques chefs-d’œuvre !

CÉSAR : Je n’aime pas les œuvres d’art, ça ne sert à rien.

LEMEL : Comment ! Vous osez dire une chose pareille !

CÉSAR : Chut… Attention, attention… Je vais faire une petite partie.

LEMEL : Si vous voulez.

(Ils s’attablent pour faire une partie de loto.)

LEMEL : Mais vous croyez vraiment que les œuvres d’art ça ne sert à rien ?

CÉSAR : À rien, à rien, à rien. Une fois que c’est accroché au mur, c’est fini, c’est figé. Je suis un homme simple, et j’aime les objets simples et amusants. Tenez, par exemple, un canif ou une boîte d’allumettes, ça, ce sont des objets simples, amusants. Avec un canif, on peut tailler un crayon. Avec une boîte d’allumettes, on peut allumer le feu. Avec un canif, on peut aussi égorger quelqu’un. Avec une boîte d’allumettes, on peut incendier une maison, une forêt. Hein hein ! Qu’est-ce vous voulez qu’on foute avec une œuvre d’art ? (Il pioche un numéro.) Le 8.

LEMEL : C’est moi qui l’ai.

CÉSAR : Le 12.

LEMEL : C’est encore moi qui l’ai.

CÉSAR : C’est magnifique le jeu de loto. Quand je pense qu’il y a des gens qui se cassent la tête  jouer aux échecs… Le 65.

LEMEL : C’est encore moi qui l’ai.

CÉSAR : C’est pas possible, vous trichez, vous. Le… 90.

LEMEL : C’est…

CÉSAR : C’est moi qui l’ai !

LEMEL : Oh…

CÉSAR : Le 78… C’est encore moi qui l’ai !

LEMEL, renverse le plateau de jeu en criant : Oh, puis j’en ai assez !

CÉSAR : M. Lemel, je suis venu aujourd’hui vous dire avec tous les ménagements possibles qu’il faut absolument que vous cessiez de boire. C’est mauvais l’alcool. Ça fait faire des bêtises, ça fait dire des bêtises… Ou au moins qu’on le boive comme je le bois, c’est-à-dire de temps en temps. (Il boit cul sec.)

LEMEL : Je veux savoir ce qu’on a fait de cet enfant !

CÉSAR : Dans une pension qui se respecte, les petits enfants qui ne dorment pas la nuit dans leur lit doivent être punis…

Cependant, Lemel boit de plus en plus… Quelques jours plus tard, à la fête du pensionnat, il éclate dans une tirade très comique.

LEMEL : Et oui, je bois ! Et après ? Si j’étais quelqu’un de réussi, un grand artiste par exemple, on me respecterait… Tous les grands hommes buvaient ! Charlemagne, lui-même, buvait ! Et Henry IV, lui-même aussi ! Et Ravaillac aussi ! Ah ah ! Michelange… Robinson C… Robin Crusoë… Et Duguesclin… Et Phi… Philippe Le Bel… Philippe Le Bel, ah ! C’était quelqu’un, celui-là ! Il a fait brûler les Templiers parce que les Templiers l’espionnaient. Et il a bien fait ! On m’espionne, moi aussi ! Parce que je suis un type dans le genre de Philippe Le Bel ! Et je vais vous dire pourquoi…

Mais vous n’en saurez pas plus avant de voir le film… Voir notre liste complète de textes et de scènes de théâtre et de cinéma (pour une audition ou pour le plaisir).

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