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Il fait un temps si beau que l’on n’ose pas vivre.
On est comme l’enfant qu’intimide et qu’enivre
Le cadeau trop vermeil qu’il n’ose pas toucher.
On est comme devant une fleur de pêcher
Qu’on craint, en la cueillant, de connaître fragile.
Il fait un temps si beau qu’on dirait que Virgile
A voulu, ce matin, nous parler de plus près.
Un paysage entier fuit entre deux cyprès.
C’est l’heure la plus douce encor que l’on ait eue.
On descend vers le lac, et, comme la statue
Qu’éveillait peu à peu Monsieur de Condillac,
On n’est plus qu’un parfum de rose près du lac.
On ne sait pas pourquoi, ce matin, les buées
Se sont, aux flancs des monts, si bien distribuées.
C’est trop. L’on est honteux de ce matin si pur.
On devrait être heureux, baigné de tant d’azur
Qu’il semble qu’on respire au bout d’une presqu’île.
Mais, quand l’air est trop doux, le cœur n’est pas tranquille.
Il fait un temps si beau que, gauche et stupéfait,
On n’ose se servir de ce beau temps qu’il fait.
On voudrait décliner humblement l’atmosphère.
Il fait un temps si beau que, tout ce qu’on peut faire,
C’est de vivre. Et l’on vit. Mais non sans un remords.
Car ce temps est si beau qu’il fait penser aux morts.
Edmond Rostand