Textes & Scènes de Théâtre / Dialogues de Cinéma / Séries / Littérature / Philo / Poésie…
La scène de la partie d’échecs dans Le Septième Sceau d’Ingmar Bergman
Voici un passage remarquable du Joueur d’échecs de Stefan Zweig, dans lequel l’écrivain autrichien analyse avec fascination la pratique ancestrale de l’échiquier.
« Je n’avais encore jamais eu l’occasion de connaître personnellement un champion d’échecs, et plus je m’efforçais de m’en représenter un, moins j’y parvenais. Comment se figurer l’activité d’un cerveau exclusivement occupé, sa vie durant, d’une surface composée de soixante-quatre cases noires et blanches ? Assurément je connaissais par expérience le mystérieux attrait de ce « jeu royal », le seul entre tous les jeux inventés par les hommes, qui échappe souverainement à la tyrannie du hasard, le seul où l’on ne doive sa victoire qu’à son intelligence ou plutôt à une certaine forme d’intelligence. Mais n’est-ce pas déjà le limiter injurieusement que d’appeler les échecs, un jeu ? N’est-ce pas aussi une science, un art, ou quelque chose qui, comme le cercueil de Mahomet entre ciel et terre, est suspendu entre l’un et l’autre, et qui réunit un nombre incroyable de contraires ? L’origine s’en perd dans la nuit des temps, et cependant il est toujours nouveau ; sa marche est mécanique, mais elle n’a de résultat que grâce à l’imagination; il est étroitement limité dans un espace géométrique fixe, et pourtant ses combinaisons sont illimitées. Il poursuit un développement continuel, mais il reste stérile : c’est une pensée qui ne mène à rien, une mathématique qui n’établit rien, un art qui ne laisse pas d’œuvre, une architecture sans matière ; et il a prouvé néanmoins qu’il était plus durable, à sa manière, que les livres ou que tout autre monument, ce jeu unique qui appartient à tous les peuples et à tous les temps, et dont personne ne sait quel dieu en fit don à la terre pour tuer l’ennui, pour aiguiser l’esprit et stimuler l’âme. Où commence-t-il, où finit-il ? Un enfant peut en apprendre les premières règles, un ignorant s’y essayer et acquérir, dans le carré limité de l’échiquier, une maîtrise d’un genre unique, s’il a reçu ce don spécial. La patience, l’idée subite et la technique s’y joignent dans une certaine proportion très précise à une vue pénétrante des choses, pour faire des trouvailles comme on en fait dans les mathématiques, la poésie, ou la musique – en se conjuguant simplement, peut-être, d’une autre façon. Jadis, la passion de la physiognomonie eût peut-être poussé un Gall à disséquer les cerveaux de champions d’échecs d’une telle espèce pour voir si la matière grise de pareils génies ne présentait pas une circonvolution particulière qui la distinguât des autres, une sorte de muscle ou de bosse des échecs. »
Extrait de la nouvelle Le Joueur d’échecs de Stefan Zweig. N’oubliez pas qu’il est impossible de travailler un texte sans l’œuvre complète. Vous pouvez acheter le livre en ligne et le récupérer dans la librairie la plus proche via ce lien Place des Libraires : Le Joueur d’échecs − Stefan Zweig