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6ème épisode de notre chronique-feuilleton de l’album Zippo contre les Robots (lire le 5ème épisode) !
8. La mer monte
Instru nuageuse. Le refrain psalmodié sous autotunax résonne comme une parodie de PNL : « la neeeiiige foooooond », « la mer moooooonte »… Le va-et-vient des vagues multi-syllabiques agit comme un bruit blanc, une berceuse qui vient nous aider à fermer les yeux. Et pourtant, c’est le son désolant de l’érosion, qui opère « petit à petit »… Les inquiétudes écologiques de Zippo surnagent parmi les tranquilles moutons portés par l’écume du jour : « Et toi tu patauges dans tes problèmes / Tu te projettes la semaine prochaine ».
Alerte sourde pour une génération qui souffre de myopie, et ne voit pas plus loin que le bout de son appendice (nasal). Comme disait le Niçois dans notre interview de juillet 2018 : « Les gens […] ont une faculté de projection de 6 mois, ou de 6 ans, pas de 60. Si on pouvait tous aller dans le futur, mettons en 2080, pendant une petite journée pour aller voir comment ça se passe là-bas, puis revenir en 2018, là, oui, ça mettrait une bonne grosse claque à l’ensemble de l’humanité, et peut-être qu’on pourrait rectifier le tir. »
Idem dans ce titre : « Les gens pigent pas, / Ils s’en fichent ou s’enfilent des cachets / Pour afficher un air détaché. / Ou p’têt qu’ils essaient d’éviter d’y penser, / Tous les jours en cherchant du fric à dépenser… » Première fuite en avant exposée par le rappeur : l’argent et la propriété. Le shopping est pratique pour ceux qui ont « un vide à combler ». Et puis, pour tuer « l’ennui », les creux de l’âme se retrouvent « Dans les bars / Pour y boire / Pour être saouls / Pour être fous / Pour être un tout p’tit peu c’qu’ils étaient au départ ». Enfin, devant le déni général d’écocide, le Bûcheron misanthrope accuse nos instincts les plus bas…
Selon lui, « l’horloge biologique » et « les hormones » nous transforment inexorablement en chauds lapins. Nul besoin des injonctions de la Bible pour « croître et multiplier » (1), l’irrépressible besoin de copuler se transmet de père en fils (notez les expressions et jeux de mots qui prêtent à confusion) : « T’as besoin de marquer un but, / Ou bien d’éteindre le feu qui t’habite, / Et sauter pour entraîner quelqu’un dans ta chute. » Vision malthusianiste de « sept milliards d’humains environ qui ont une très grosse envie de baiser », malgré des ressources naturelles limitées dont la reproduction est toujours plus fragilisée par la surexploitation. C’est une autre lecture du « jour du dépassement » (2) : en gros, l’humanité baise au-dessus de ses moyens !
Alors, on pense à Cioran… :
« Ces enfants dont je n’ai pas voulu, s’ils savaient le bonheur qu’ils me doivent ! » (3)
(1) Genèse 1 : « Croissez, et multipliez, remplissez la terre, et l’assujettissez; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre. »
(2) Le « jour du dépassement » est un indicateur mis au point par l’ONG Global Footprint Network, sur la base du concept d’empreinte écologique. Il fixe le jour de l’année civile où la population mondiale a déjà consommé les ressources que la planète est capable de régénérer en un an. En 2018, l’humanité a atteint le « jour du dépassement » le 1er août, et ce jour ne cesse d’avancer dans notre calendrier. Pour plus d’informations, vous pouvez consulter le site de l’ONG : https://www.footprintnetwork.org/our-work/earth-overshoot-day/
(3) Emil Cioran, Aveux et anathèmes, Gallimard, 1987.
Paroles extraites de la chanson « La mer monte ». Zippo, Zippo contre les robots, Strange Fruit, 2018. Vous pouvez acheter l’album sur ce lien. Pour suivre les aventures de l’homme-briquet sur Facebook, c’est par ici.