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(© Ludovic Marin)
Monsieur le Président, qui êtes aujourd’hui le « Champion de la Terre », permettez-moi de vous donner une petite leçon d’histoire contemporaine…
Quand les errements de la finance provoquent une crise internationale majeure, les banques centrales renflouent les établissements en péril et injectent massivement des liquidités dans la machine économique pour éviter un effondrement global. Mais quand c’est toute la vie terrestre qui est menacée, soudain les gouvernements se retrouvent sans le sou…
Quand des dictateurs emploient des armes chimiques au Koweit, ou en Syrie, les Occidentaux envoient des armées entières à l’étranger, invoquant le droit d’ingérence. Mais quand Monsanto déverse ses poisons sur nos terres et dans nos rivières, pas un gendarme pour lui tirer l’oreille…
Quand des attentats frappent notre pays, le gouvernement décrète l’état d’urgence, et débloque sur plusieurs années des moyens humains et financiers colossaux. Mais quand l’enjeu est l’avenir de toute la planète, on se contente d’installer quelques potagers dans les écoles…
Qu’est-ce qui explique cette différence de moyens ? L’absence de volonté politique, un point c’est tout. Alors, arrêtons la poudre de perlimpinpin…
Oui, les solutions pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre existent, et vous les connaissez : gratuité des transports collectifs (les gros employeurs n’auront plus qu’à financer les 50% restants, l’Etat fera le reste) ; taxe lourde sur le transport aérien et les « cars Macron » (où est-il écrit que nous avons le droit de polluer ?), permettant de financer la baisse du prix du train, l’aménagement de pistes cyclables protégées, une subvention pour l’achat d’un vélo ; instauration de journées de télé-travail dans les activités où c’est possible ; interdiction progressive des véhicules polluants en ville et développement d’une flotte de triporteurs (avec assistance électrique, si ça vous fait plaisir) ; végétalisation des espaces urbains bétonnés à outrance (je pense par exemple à la nouvelle Place de la République à Paris) ; développement d’une filière de collecte de biodéchets et de compostage dans les communes ; législation pour obliger les grandes surfaces à développer des systèmes d’emballages réutilisables standardisés et consignés, et les obliger à augmenter leur offre en vrac (il ne s’agit ici que de prolonger l’interdiction des sacs plastique)… etc.
Et ne me rétorquez pas que ces mesures entraîneraient un chômage de masse. C’est faux. Ce sont la concentration industrielle, la mécanisation et la délocalisation qui sont les premiers destructeurs d’emplois, et qui ont engendré les niveaux actuels de pollution. D’ailleurs, si les grandes entreprises sont incapables de s’adapter aux défis environnementaux, si elles continuent à produire-vendre n’importe quoi n’importe comment, si elles continuent à remplacer les hommes par des machines, si elles continuent à écraser les petits producteurs en les forçant à produire toujours moins cher, une multitude de petits producteurs-vendeurs viendra les remplacer, et, ce ne sera pas plus mal, puisque les PME sont les premiers employeurs de France. D’ailleurs, tout le monde respirera mieux, et la Sécu dépensera moins. Voilà ce que j’appelle une véritable « destruction créatrice » !
Vous voyez, nul besoin de prier « la main invisible », inutile d’attendre un hypothétique miracle technologique… les solutions existent déjà ! Et leur mise en place immédiate requiert tout simplement, comme l’observait votre maître Paul Ricoeur, de ne plus réduire le politique à l’économie de court-terme. De fait, un vrai projet de société ne peut s’inscrire dans le temps d’un exercice comptable ou d’un mandat, ni se fonder sur le seul critère de rentabilité : l’Etat se doit d’inclure toutes les « externalités » négatives dans ses calculs, et ce, à très long-terme. En un mot, la situation ne demande ici qu’un « arbitrage » intransigeant en vue du Bien Commun.
Nous n’avons jamais connu avec autant de précision l’état catastrophique de la planète, c’est pourquoi il est désormais criminel de céder devant les montagnes d’or, les chiffres trimestriels du chômage et les pressions des lobbies… Si nous ne sortons pas tout de suite de la religion de la croissance illimitée, si nous ne retrouvons pas vite un équilibre vital entre nos ressources et nos besoins, alors nous accélérerons le Biolocauste qui est en marche, et les efforts à fournir aujourd’hui ne seront rien en comparaison des changements violents qui nous attendent…
Monsieur le Président, à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles ! Vous n’avez même pas pour vous l’excuse de l’âge ou de l’idéologie ! Aussi je vous invite ni plus ni moins à entrer dans l’Histoire : en étant le premier chef d’Etat à déclarer l’« état d’urgence écologique », en prenant de vraies mesures contraignantes pour les industriels, et en entraînant toute l’Europe dans cette voie. Autrement, vous rejoindrez notre Panthéon de Rois Fainéants ! Quant au « pays des droits de l’homme », nous en reparlerons peut-être un jour si nous nous montrons capables d’accomplir notre devoir envers la vie…
Un citoyen français