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Interview dans l’ombre avec Istah, rappeur et beatmaker

Rappeur Istah

Le rappeur et beatmaker Istah, posté à sa fenêtre donnant sur la Saône (© Alexis Veille)

Voilà un mec qui applique à la lettre la devise de la Scred Connexion : « Jamais dans la tendance ! » Établi dans le Mâconnais, Istah vit sans smartphone et semble écouler ses textes et ses prods avec le débit tranquille de la Saône ! Je suis tombé sur son morceau « S.A.S.R » (pour Salive Acide, Spleen et Rêvasseries), et j’ai eu tout de suite envie de vous faire découvrir le travail de ce gars qui surnage dans l’ombre…

VM. : D’où vient ton blaze ?

Istah : C’est le verlan du prénom Thaïs. Une très jeune membre de ma famille décédée d’un cancer il y a quelques années. Une sorte d’hommage… Ça lance l’interview !

V.M. : Comment t’es tombé dans le rap ? 

Istah : En partie grâce à ma fratrie ! Chez moi, on écoutait beaucoup de rap à la milieu/fin des années 90 : IAM, le Secteur Ä, les Fugees, la Cliqua, NTM, la Fonky Family, MC Solaar, ATK, la Scred Connexion… J’ai pas arrêté d’en écouter depuis !

V.M. : Quelles sont tes influences musicales ? J’ai repéré entres autres un clin d’oeil à Akhenaton, à Chiens 2 Paille… Plutôt old-school tout ça, non ?

Istah : Mes influences sont diverses. J’écoute essentiellement du « rap » comme Vîrus, Fayçal, Convok, Pejmaxx, Casey, Furax, C.Sen, l’Uzine, Gaël Faye… et tout un tas de trucs à l’ancienne sur lesquels je débloque pas… Pour en citer quelque un(e)s : Bill Withers, Etta James, Fatoumata Diawara, Yasmine Hamdan, Massive Attack, Boubacar Traoré, Sade, Nusfrat Fateh Ali Khan, Peter Gabriel, Portishead, A Filetta, Devendra Banhart, Mychael Danna, Girls in Hawaii, Baaba Maal… et beaucoup d’autres. De la musique religieuse aussi. Chacune de ces musiques me « parle » dans son style, et m’influence autant, voire plus que les rappeurs que j’ai cités.

Le clin d’oeil à AKH dans « Soliloque » (« Juste un autre jour à souffrir rien de plus / Juste un autre jour à se faire chier, à mourir comme d’hab’ »), c’est un passage issu du morceau « J’voulais dire » que j’apprécie beaucoup, également issu de la B.O du film « Comme un aimant », que j’ai bien squatté plus jeune… Pareil pour Chiens 2 Paille : « Maudits soient les yeux fermés », c’est un morceau qui m’a bien marqué à l’époque évoquée dans la deuxième question. Old school !

V.M. : Puisqu’on parle de samples, dans « Soliloque » encore, on entend un extrait bien pessimiste de la série True Detective (voir un dialogue entre Rust et Marty), qui fait écho à la noirceur de tes textes. Tu parles beaucoup du « spleen », même de la tentation du suicide, et t’écris par exemple : « Moins ça va plus les mots filent »… Est-ce que l’angoisse est le moteur de ton écriture ?

Istah : Sûrement. Et d’autres sentiments aussi. C’est personnel et introspectif ce que j’écris en général, mais je pense que c’est le reflet direct de l’environnement et de la société dans lesquels on évolue tous. Je ferme pas la porte aux choses positives, il y en a heureusement ! Mais j’ai tendance à m’attarder sur le reste et à n’absorber que la merde, et y a de quoi bien se péter le bide… Malheureusement, ça facilite le développement de l’aigreur, de la salive acide, de la résignation et du pessimisme (qu’il faut s’efforcer de tempérer…) Il y a aussi les expériences de vie négatives dont chacun souffre. Je pense qu’on encaisse et qu’on ne « recrache » pas les événements traumatiques qu’on vit ou qu’on a vécu de la même manière. Je crois pas au pouvoir thérapeutique ou d’exorcisme en ce qui concerne l’écriture, mais ça libère un peu malgré tout,  à un instant t, de pouvoir choisir, et de mettre des mots précis sur les émotions néfastes qui nous débordent. Ce qui me motive également, c’est tout le processus qu’il y a après l’écriture : le choix de la prod, l’enregistrement, le mixage, le mastering, la mise en vidéo, et l’aboutissement du morceau qu’on peut enfin écouter/voir !

V.M. : Dans ton écriture, il y a des jeux de mots (« Toi même tu saignes / Moins ça va plus les mots filent »), du verlan (« de-ban d’ver-pers ! »), du wolof (« sama bopp »), du rom (« dicave »), etc… bref, on sent que t’aimes jouer avec le langage ! T’es inspiré par la littérature « classique » ? La poésie ?

Istah : Je suis pas particulièrement inspiré par la littérature classique, ni par la poésie. Pour être honnête, je lis peu. J’ai eu un cursus littéraire au lycée, qui a dû aiguiser mon goût pour l’écriture et la richesse de la langue française, mais je pioche un peu dans tout ce que j’entends au quotidien, je regarde beaucoup de films et de séries (comme celle citée plus haut par exemple), l’argot, des expressions, des mots ramenés de mes voyages etc… Pour le wolof, c’est un peu récurrent, j’ai vécu quelque temps à Dakar, j’ai un lien particulier avec cette ville et cette langue. J’aime bien mixer pleins de trucs différents, ça enrichit les textes, les possibilités de rimes et ça permet des fois de placer des idées de manière un peu plus discrète…

V.M. : Ta ou tes figure(s) de style préférée(s) ?

Istah : L’ironie.

V.M. : « Cool-al, fumée, caféine » sont des « gri-gri » qui te permettent d’écrire ? de composer ?

Istah : « Cool-al, fumée, caféine » , c’est un package. Pour l’alcool, je citerai ces mots de Vîrus qui résument mieux le truc : « J’tiens pas l’alcool mais j’y tiens tellement / J’ai le mal de terre et ses tremblements / S’abstenir, une question de vide ou de mort / Que ma mise en bière ne soit pas qu’une simple ironie du sort / D’un seul trait, j’dois faire une croix / Pour voir si j’bois parce que ça va pas ou si ça va pas parce que j’bois / J’ai ma p’tite idée sur la question / Plus rien pour m’aider à m’exprimer, qui va payer l’addiction…? » tiré du morceau « Marquis de Florimont ». Ça m’aide pas à écrire (et à rien d’autre d’ailleurs), je préfère avoir l’esprit clair pour ça… Malheureusement, « il faudra plus qu’un café/clope pour évacuer la de-mer de la veille… » Concernant les « gri-gri » c’est de l’ordre de la spiritualité et du mysticisme.

V.M. : Tu viens de sortir un album instrumental intitulé Narcose… Aujourd’hui, tu te sens plus beatmaker que MC ?

Istah : C’est peut être important de mettre un nom sur les choses, mais j’ai du mal à me caractériser par une appellation précise comme MC, beatmaker, ou artiste… Je me sens ni l’un ni l’autre. Je jongle ponctuellement entre ces deux « disciplines », selon l’inspiration. C’est deux façons différentes d’exprimer ce que j’ai envie de dire ou ce que je ressens. Pour préciser, l’écriture, me concernant, et à l’inverse des prods, c’est un exercice vachement plus concret, direct et « lourd ». Ça demande plus de concentration, de déterrer des trucs ultra-chiants, de se poser, de les écrire et de revenir plusieurs fois dessus en plus… Et puis, je suis pas assidu, j’ai pas de « routine » d’écriture contrairement à certains. Je mets toujours 15 plombes à pondre un texte donc c’est plus contraignant.

V.M. : Un mot sur tes prochains projets ?

Enregistrer les deux, trois trucs que j’ai de côté pour, à terme, les compiler avec ce que j’ai déjà fait, et finaliser ça sur un support physique.

V.M. : Le mot de la fin ?

Istah : Grand merci pour cette interview et l’intérêt porté à mes projets ! Pour le reste, prenez soin de vous, de vos proches et des autres ! Merci aux personnes qui ont pardonné certains de mes écarts. Paix, bienveillance et compassion. (Envoyez les violons !)

Merci à Istah d’avoir répondu à nos questions ! Vous pouvez suivre son travail sur Youtube et sur Twitter

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Cette entrée a été publiée le 13 mars 2019 par dans Interviews, Rap, et est taguée , , , .
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