Textes & Scènes de Théâtre / Dialogues de Cinéma / Séries / Littérature / Philo / Poésie…
Médecin-entrepreneur diplômé de Sciences Po, HEC, et l’ENA, Laurent Alexandre se présente volontiers comme un héritier des Lumières, un « progressiste » descendu sur Terre pour défendre la raison face aux « anti-science »… « La parole des scientifiques, s’est beaucoup dévaluée, hélas… », se lamentait encore notre ex-urologue dans l’émission « Interdit d’Interdire » diffusée le 8/4/19 sur RT France. Mais peut-on vraiment oeuvrer pour le camp de la science lorsqu’on s’adonne à la futurologie, un exercice pseudo-rationnel qui, de son propre aveu, conduit à dire de « GROSSES CONNERIES » ? N’y a-t-il pas danger à créer une confusion entre science et science-fiction ? La tendance au spectaculaire n’a-t-elle pas plutôt pour effet de décrédibiliser le discours scientifique ? Peut-on sérieusement prétendre à l’objectivité sans une certaine indépendance vis-à-vis des sphères économique et politique… ? Je vous propose une vivisection de ce drôle d’oiseau pour tâcher d’y répondre !
Avec ses nombreuses casquettes, il serait étonnant que Laurent Alexandre ne mélange pas tout. Primo, notre expert en nouvelles technologies donne son avis sur un tas de sujets débordant le champ des sciences exactes : mouvement des Gilets Jaunes, immigration, ethnicité, religion, démographie, communautarisme, islamisme, violences contre les LGBT, restauration de Notre-Dame, liftings d’Arielle Dombasle…etc. Bien souvent d’ailleurs, il prend un malin plaisir à mêler ces questions socio-politiques (ascendant pipole) avec un objet d’étude plutôt réservé aux ingénieurs et autres laborantins. Exemple : « L’intelligence artificielle va produire des Gilets Jaunes »…
Secundo, quand son objet d’études se limite à des connaissances plus objectives, le Doc met sa rigueur au placard. Voici, entre autres, comment il présente l’intelligence humaine dans une « conférence » organisée par Le Figaro : « Le Q.I est parfaitement corrélé à notre capacité à apprendre. Être intelligent, c’est être capable de faire des nouvelles synapses, et d’apprendre vite… […] hélas, l’intelligence est à 80% génétique… ». Or, cette définition partielle, assortie d’un beau raccourci sur l’héritabilité cognitive, n’est pas du goût de tous les spécialistes (lire la tribune « Halte aux fake news génétiques », publiée dans Le Monde)… Pensez-vous que ça gêne M. Alexandre ? Fi ! Il n’en a cure ! Pointez l’imprécision de son exposé aux chiffres tordus (autre ex. : « On ne peut pas être un vrai codeur en dessous de 115 de QI. ») et il vous répondra à coups de sophismes mordants : « S’il n’y a aucun lien entre ADN et intelligence… je vais vous confier un chimpanzé à la naissance et vous allez lui apprendre les mathématiques ! Puisque seul l’environnement compte et que l’ADN n’a aucun rôle… ce sera facile. » (voir le tweet).
« Moi je suis très présent sur Twitter : sur le plan scientifique, c’est hallucinant la quantité de conneries qu’on peut entendre tous les jours » (1)
Et vous n’avez encore rien lu ! Il faut voir ce qu’il écrit dès qu’on touche au changement climatique ! À l’en croire, les projections récentes des climatologues ne seraient que des scénarios-catastrophe parmi d’autres : « Il y a 40 ans, les MEDIAS occidentaux donnaient des recettes pour se protéger contre l’âge glaciaire que les climatologues d’alors nous promettaient. L’opinion publique l’a oublié ! Le ton était alarmiste : beaucoup prédisaient que notre civilisation ne survivrait pas au froid. » (voir le tweet) Face aux alertes météo, il faut savoir raison-garder, on vous dit !
Sauf que cette sainte-horreur des prévisions alarmistes n’empêche pas notre penseur de brandir en retour le spectre d’une « dictature verte », qui serait portée par des « écolo-fascistes », des « ayatollahs », des « officines », des « lobbies », manipulant l’opinion publique, à travers la figure virginale d’une enfant autiste (Greta Thunberg)… Rhétorique digne d’un savant de la stature d’Alain Soral ! Fort heureusement pour les « neurodivergents », ce sens de la mesure se décline aussi en chroniques (« Fermer Fessenheim va mécaniquement tuer des Européens »), et en essais (« L’I.A va-t-elle aussi tuer la démocratie ? »).
« dans cette phase d’hystérisation irrationnelle, c’est difficile d’avoir de vraies réflexions scientifiques » (2)
Continuons sur la forme, car vous n’avez qu’entr’aperçu le polisson qui se cache derrière le profil sévère du Docteur Alexandre ! De fait, le petit Lolo prend Twitter pour sa cour de récré : qu’importe la gravité du sujet, il ponctue ses commentaires d’innombrables emojis ; en dépit des fake news (et de la surpêche, LOL), il s’autorise un poisson d’avril ; et, quand bien même « il ne faut pas se moquer », notre coquinou se régale en mouchant ses camarades de toile, sous prétexte qu’il a la plus grosse… communauté.
Il suffit d’un hashtag déplaisant pour que notre diablotin choisisse un bouc émissaire et l’affuble d’un habit de bouffon. Et ce, quelle que soit la réputation de son interlocuteur. Questionnez le rythme actuel de l’innovation, comme l’astrophysicien Aurélien Barrau (lisez le texte, vous verrez que « la 5G tue » a pourtant tout du style alexandrin), et vous écoperez peut-être de ce genre de caricature : « Les gens qui soutiennent Aurélien Barrau ne voient pas à quel point il est RÉACTIONNAIRE ET RÉTROGRADE : il veut interdire la 5G et bloquer le progrès technologique. Les collapsologues nous conduiraient rapidement à la dictature VERTE ! » (voir le tweet). De même pour l’économiste Thomas Porcher lorsqu’il constate une surproduction dans l’industrie vestimentaire : « Aux yeux de Thomas Porcher, c’était sans doute mieux, quand les pauvres étaient en guenilles. Je ne comprends même pas comment on peut être mécontent de la démocratisation des vêtements ! » (voir le tweet). Voilà pour l’invitation au débat…
Et quand les adultes refusent ce « combat de coqs » numérique, Lolo la Malice surenchérit, il continue à jouer au chat et à la souris à coups de tags et de remarques mesquines sur le physique, avant de conclure tout simplement que ses adversaires… « ont pas de couilles » (cf. mon échange avec lui ci-dessous). À force d’ausculter des entrejambes, le carabin a développé une théorie hormonale permettant d’éclairer plusieurs problèmes géopolitiques, visez un peu : « l’intelligence artificielle est con comme une bite » ; « en tant qu’employeur, l’Etat n’a pas de couilles » ; « L’UE, c’est le castra de Farinelli, elle s’est auto-emasculée avec le RGPD »… Vivement une phase de « couillisation » rationnelle !
Mais attention, ne vous méprenez pas sur le diagnostic ! Si Laurent Alexandre donne l’impression d’être retombé en enfance, la provoc’ n’est pour lui qu’une stratégie payante (je crois qu’on dit pute-à-clics sur le web). Notre influencer le confiait crânement dans la rubrique « Pouvoir » de Vanity Fair :
« Les réseaux sociaux, c’est simple. Tu publies deux ou trois trucs clivants par jour et au bout de deux ans, tu as minimum 30 000 abonnés. » (Laurent Alexandre)
L’objectif est clair, c’est le buzz ! Et comme les trublions du rap game, Doc Urolo n’hésite pas à clasher pour exister : plus c’est frontal et grossier, plus il a de chances d’entraîner trolls et fanzouzes dans sa boue ! Et oui, la polémique en 280 caractères a cela de bon qu’elle se dispense de profondeur. Elle fait passer en diagonale le plus inepte commentaire pour une pensée profonde. Illustration : « La volonté des islamistes de transformer la France et l’Europe en pays islamiques, effraie énormément. Nous oublions que les croisés faisaient la même chose à l’envers. Il est logique que le monde musulman soit aussi prosélyte que les croisés l’étaient. » (voir le tweet). CQFD…
« Science » et buzzwords fusionnent ainsi dans des punchlines à faire péter l’audimat. Ici, on vous propose un papier sur « les nazis et le QI » ; là, c’est « l’Ubérisation de Dieu » ; ailleurs, ce sont des contradicteurs taxés d’antisémitisme sans preuve, si ce n’est une sombre histoire de Grand Rabbin de France… etc. Docteur Alexandre et Mister Hype se complètent pour créer la polémique, à laquelle ils répondent ensuite par un peu plus de polémique, frisant parfois la diffamation. Alors, vous comprenez pourquoi j’ai du mal à contenir un fou rire quand je lis que « Greta Thunberg est le coup marketing de la décennie »…
Mais, à vrai dire, cette méthode donald-trumpesque n’a rien d’étonnant pour un individu qui a su exploiter, dès la première heure, le potentiel anarchique des forums. Pas pour en faire de saines agoras, non. Plutôt pour faire du visiteur unique, des vues, du trafic, c’est-à-dire, du fric, sur Internet… Qu’entends-je par là ? Et bien, à la fin du siècle dernier, notre rusé renard avait flairé l’aubaine digitale : inspiré par le succès du site américain WebMD, il crée alors Doctissimo — fameuse plateforme d’information médicale — et on peut dire qu’il a le museau creux, puisque, huit ans plus tard, la vente de l’entreprise lui rapporte plus de 70 millions d’euros…
Je vous en prie, ne croyez pas que je verse ici dans le « racisme anti-réussite », comme dirait Hanouna. Je ne fais que questionner l’éthique d’un toubib devenu nabab, qui cherche depuis belle lurette à monétiser sa science, et dont les ordonnances ressemblent à s’y méprendre aux prospectus des visiteurs médicaux…
En effet, ce patron multimillionnaire, secgé du feu parti Démocratie Libérale d’Alain Madelin, est bien plus proche des milieux affairistes que de la communauté scientifique. N’oublions pas qu’il a complété médecine avec rien de moins que Sciences Po, HEC et l’ENA, et qu’il fréquente encore les élites au sein du prestigieux club Le Siècle. Sans oublier l’Institut Sapiens, « think tank » qu’il a co-fondé fin 2017, avec un docteur en sciences de gestion et un DAF (en étudiant le trombi du conseil d’administration, vous trouverez encore une consultante en stratégie digitale, un spécialiste de l’optimisation fiscale…) !
N’oublions pas que Lolilol Alexandre s’invite avant tout dans la presse éco (il a racheté 28% du journal La Tribune grâce à sa cagnotte Doctissimo, chronique toutes les semaines dans L’Express-L’Expansion, sur Atlantico.fr, et à l’occasion dans sa Tribune ; il se met en scène pour Le Figaro Économie ; pige pour Les Échos… etc.), du fait d’une expertise high tech qui, étrangement, se transmet de père en fils (voir le 1er article du fiston paru dans le journal de Papa). N’oublions pas, enfin, qu’il a réinvesti ses billes dans une entreprise de séquençage génétique (DNAVision) ainsi qu’une flopée de startups innovantes, et que son intérêt pour le développement des NBIC (nanotech, biotech, informatique — dont l’I.A. — et neurosciences) n’est pas simple curiosité intellectuelle…
À quoi il faut ajouter un statut de conférencier-vedette, qui le conduit en premier lieu à soigner sa renommée, afin qu’entreprises (Université d’été du MEDEF…etc), clubs (Jeunes Mécènes des Bernardins…), think tanks (CERA…) et grandes écoles (Polytechnique…) abondent en juteux honoraires, tarifés secteur 2, cela va de soi. D’ailleurs, notez que cette auto-promotion spectaculaire — aussi confondante sur le plan moral qu’un one man show d’Éric Dupond-Moretti — ne met pas en doute son engagement pour le Bien public, puisque notre techno-gourou conseille le Ministère de l’Économie ou le Sénat…
Et c’est d’autant plus étonnant que Lolo Doctissimo ne suit pas les voies qu’il prescrit à nos représentants. De facto, il les exhorte à investir dans les Ed Techs (technologies éducatives), mais ne mise pas lui-même un kopeck sur le secteur (à moins qu’on compte, me dit-il, un de ses poulains aux oeufs d’or, qui fabrique des bonnets de nuit connectés…). Et lorsqu’il « s’indigne du mauvais traitement des savants par la France » (voir le tweet), la tartuferie est à son comble, car notre compatriote est résident fiscal en Belgique, tandis que sa holding (NBIC Finance), par-dessus le marché, est domiciliée au Luxembourg…
« Le savoir n’est valable que s’il se fonde sur la morale » (extrait du film Solaris)
Vous l’aurez compris, en fin de compte, Laurent Alexandre n’est pas un scientifique. Il y a beau temps que le Doc a troqué son caducée contre une houlette techno-capitaliste, et qu’il use de toute son influence pour faire advenir sa vision du progrès. Une vision très économique, enracinée dans le dogme de la croissance, et portée par les espérances de la R&D. Seulement, cette posture n’est acceptable que tant qu’elle dit son nom — outre-atlantique, on parlerait d’activisme —, comme on met des logos dans les pubs pour dentifrices. Sans cela, elle devient une dangereuse imposture en blouse blanche…
(1) (2) Voir l’émission « Interdit d’Interdire » diffusée le 8/4/19 sur RT France.
(3) Lire l’interview publiée par Vanity Fair le 24/5/18
Et toujours d’accord avec « convention de droite » sur twitter..
J’aimeJ’aime