La Compagnie Affable

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Pour ou contre Greta : la grande diversion…

Greta Thunberg BFM

Décidément, le discours spasmodique et réprobateur de la petite Thunberg ne laisse personne indifférent. D’un côté, on se gausse, on s’indigne d’avoir à supporter les leçons d’une morveuse hystérique à couettes ; de l’autre, on s’émeut à la vue d’une enfant révoltée contre la marche du monde. Mais quel est au fond le résultat de ce faux débat, qui se résume à « Pour ou contre Greta » ? Et bien, une fois de plus, la société du spectacle fait son office insidieux, effaçant la question du climat derrière un carnaval médiatique… 

En effet, l’adolescente est devenue le centre de toutes les attentions : Donald Trump l’attaque sur le physique, Bernard Pivot se souvient des « petites Suédoises » qui alimentaient ses fantasmes, on rappelle avec prudence que la jeunesse peut être hitlérienne, Jean-Pierre Raffarin se demande « qui « inspire » Greta Thunberg ? »…etc. Mais la palme revient derechef à l’omniprésent chirurgien-énarque-entrepreneur-business-angel Laurent Alexandre, qui continue sa croisade contre la lycéenne scandinave 

Sur le plateau de Morandini, chez Bourdin, dans L’Express, l’auteur de la chronique hebdomadaire « Demain sera vertigineux » nous alerte.  Attention, danger ! « Derrière Greta, une nuée de prophètes annoncent la fin du monde » ! Rendez-vous compte, Fred Vargas, Yves Cochet, Aurélien Barrau… tous ces pseudo-scientifiques lancent des pronostics « écolo-catastrophistes » à l’envi, offrant à nos blondins un « cortège de paniques », qui nourrit un « courant malthusien, anti-progrès et géopolitiquement masochiste »… 

Laurent Alexandre Greta Thunberg CNEWS

Or, ces attaques ciblées sur quelques écolo-pipoles, masquent deux réalités. Primo, la mauvaise foi de notre ex-urologue, qui s’adonne depuis des années à la discipline très approximative de la futurologie, sur un ton pour le moins catastrophiste et putassier, toujours en ligne avec sa vision du « Progrès » (voir notre article Laurent Alexandre est-il vraiment sérieux ?). Deuxio, l’oblitération totale du discours et des données objectives de la science.  

Car l’angoisse écologique n’est pas le fruit d’une imagination puérile, qui percevrait des monstres dans la pénombre. Au contraire, elle est une réaction aux alarmes répétées des spécialistes du climat et des écosystèmes. A chaque nouveau rapport, leurs observations se précisent : multiplication des anomalies climatiques, records de chaleur, incendies géants (à l’heure où j’écris ces lignes, le ciel de l’Indonésie est rouge vif), effets de la déforestation, fonte accélérée des glaces, disparition massive d’espèces rares et communes… 

Certes, il est impossible de prédire à long-terme l’emballement du système Terre avec précision. Et c’est là l’argument principal des climato-sceptiques, qui prennent un malin plaisir à ridiculiser certaines projections invalidées par l’histoire. Cependant, ces exemples ne justifient en rien leur posture de doute systématique. D’abord, on pourrait leur répondre que ce n’est pas parce qu’une catastrophe n’est pas encore arrivée qu’elle n’arrivera jamais. Ensuite, leur attitude simili-cartésienne laisse étrangement place à un optimisme religieux quand il s’agit de « progrès technologique ». 

À les entendre, l’innovation et le marché vont tout résoudre (ex : « seul le développement technologique peut décarboner l’économie mondiale »,  « une économie de marché où les prix sont librement fixés rend en effet toute pénurie impossible »). Hélas, c’est oublier que nous ne sommes pas dans Jurassic Park, et qu’une espèce disparue… est une espèce disparue. C’est oublier que tous les changements climatiques ne sont pas réversibles à court-terme comme le trou dans la couche d’ozone. C’est oublier que les gaz à effet de serre qui s’accumulent dans l’atmosphère et les mers, et dont les émissions mondiales continuent d’augmenter malgré les promesses renouvelées de développement durable ou de croissance verte, continuent leur œuvre calorifère un bon moment, tandis que certains attendent des solutions-miracle telles que le moteur à hydrogène ou la fusion nucléaire. Enfin, c’est oublier que certains scénarios, jugés hier comme pessimistes, sont aujourd’hui dépassés par la réalité… 

À l’heure où les scientifiques évoquent une possible hausse de 7°C à l’horizon 2100, il faut une solide foi dans la Main Invisible pour ignorer les recettes immédiates qui sont à la portée de chacun (moins de transports carbonés, moins de produits exotiques, moins de viande, moins de plastique, moins de technologies énergivores… etc.). D’autant qu’il ne s’agit ici que de réactualiser une des questions posées par les premiers économistes : «d’où provient la valeur ?» (Travail, utilité, rareté, répondait-on à l’époque.) Et de regarder plus attentivement son corollaire : «quel est le véritable coût à long-terme de la destruction créatrice

Voilà deux questions cardinales qui devraient nous conduire à réenvisager la répartition de la valeur ajoutée (oui, quand des agriculteurs se suicident parce qu’ils travaillent à perte, tandis que des millionnaires du web déjeunent à l’étoilé, on peut imaginer qu’elle n’est pas répartie comme il faut), tout en intégrant le coût des «externalités négatives» à long-terme dans les mécanismes de prix (là-dessus, les taxes carbone sont une nécessité, tout comme le contrôle strict des pesticides, et la prise en compte des risques nucléaires).

Laurent Alexandre Greta Thunberg Twitter

Évidemment, cela demande des décisions politiques audacieuses. Et des mesures comme la taxe carbone prennent souvent des allures d’écologie punitive. En tout cas, c’est ce que les privilégiés du techno-capitalisme comme Laurent Alexandre vous feront avaler, en avançant le spectre de la baisse du pouvoir d’achat, de l’inéluctable rétrogradation internationale, de la dégradation des comptes et des services publics, et ce, depuis leur exil fiscal…

Pis encore, plutôt que de se demander si l’efficience énergétique ne va pas de pair avec une régulation plus juste du marché, ils focaliseront le débat sur des polémiques ad hominem (voir le tweet ci-dessus concernant le dossier médical de Greta) et brandiront l’épouvantail d’une «dictature verte», en se faisant passer pour les amis de la Liberté, du Progrès pour tous, et, même, des gilets jaunes ! (Fou rire.)

« La décroissance est rigolote quand on est un bobo vert à la terrasse des Deux Magots, beaucoup moins pour les gilets jaunes. » (Laurent Alexandre)

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Cette entrée a été publiée le 25 septembre 2019 par dans Humeur, et est taguée , .
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