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Depuis peu, le comédien Mustapha El Atrassi s’essaie au rap. Quoi de plus naturel pour un habitué des open mic’, me direz-vous ? J’ai donc écouté son titre « Colis suspect » par curiosité, et le moins qu’on puisse dire, c’est que MC El Atrassi a du mal à trouver son style…
Sur une prod bien gangsta, MEA entame d’emblée par des rodomontades ego trip : « J’suis l’comique préféré / D’tes rappeurs préférés / Le comique préféré / D’tes comiques préférés ». L’hyperbole tourne en boucle, et l’on s’attend à une parodie dans le genre Fatal Bazooka… Mais, tout à coup, le propos prend une tournure très sérieuse, quand l’humoriste fait référence au massacre de manifestants algériens perpétré à Paris le 17 octobre 1961 : « Si on laisse faire / Ils nous rejettent à la Seine ».
Le ton est donné. L’heure n’est plus à la rigolade, en dépit d’un timide « sourire berbère », qui arrive juste après le clic clic d’un flingue chargé. « Ça s’arrangera pas avec des pétitions », nous dit-il. Alors, quoi ? Quelle recette propose-t-il ? « J’viens mettre du halal dans ton terroir ». D’accord… mais ça sent le plat réchauffé. En 2015, Booba disait la même chose avec plus de piment : « J’mets d’la harissa dans leur camembert ». Et, en boisson, qu’est-ce qu’on a au menu ? « Ouvrez vos bouches que j’vous hydrate »… Là non plus, la formule n’a rien de nouveau depuis Seth Gueko, et son « J’pisse du champagne / Viens boire à la bouteille ».
Cependant, ne croyez pas que Mustapha El Atrassi est un simple CopyComic du rap game. Non. Car son imitation est un savant mélange de dérision et de propos graves. Que veulent dire, par exemple, ces deux vers au milieu de la chanson : « Si tu r’parles de nos femmes / On f’ra pleurer les douilles »… ? Pour « nos femmes » (passons sur le possessif « nos »), c’est clair, il s’agit des Françaises musulmanes, et, plus particulièrement, celles qui portent le voile. Le « tu », puisqu’il est nommé plus bas, s’adresse à Julien Odoul, l’élu RN qui, au mois d’octobre, a pris à parti une femme voilée au Conseil Régional de Bourgogne Franche-Comté. Reste donc ce « on »… Qui est ce « on », qui « fera pleurer les douilles »…?
Là-dessus, notre néo-rappeur ne s’en cache pas, il a « des envies d’meurtres ». D’ailleurs, on a parfaitement le droit d’exprimer sa colère dans une chanson, ou de s’imaginer en train de choisir un marteau « chez Castorama ». Seulement, il y a une différence entre une fiction individuelle (j’ai « des envies de meurtre ») et la menace d’un recours collectif à la violence (« on fera pleurer les douilles »), aggravé en outre par des clins d’oeil aux attentats islamistes (« je te casse les deux jambes comme le World Trade »). Me vient alors cette question, piquée à un autre clown triste, ayant abimé son talent dans l’ambiguïté la plus nauséabonde : « C’est quoi ton projet… ? »
Oui, il faut ici s’interroger sur les limites de la déconnade. Parce qu’à force d’alterner la dénonciation d’horreurs au premier degré (ex : la persécution des « Ouïghours ») et les calembours pseudo-subversifs (« Macron casse ta mère »), l’humour fout le camp, et c’est l’esprit de sérieux qui prend l’avantage. Le pied de la lettre. La réaction. Bête et méchante. En cela, MC El Atrassi ressemble pour l’instant plus à Nick Conrad (« Laisse pas traîner Marianne / J’vais la déshonorer » étant une version soft de « Je baise la France jusqu’à l’agonie ») qu’à son modèle Don Bigg. Quant à Mustapha, sa carrière de vanneur ne le dédouane en rien de toute responsabilité. Et, dans un contexte où les fous de haine, racistes comme islamistes, sont déjà passés à l’acte, il est criminel de les encourager.