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« J’appelle société de provocation toute société d’abondance et en expansion économique qui se livre à l’exhibitionnisme constant de ses richesses et pousse à la consommation et à la possession par la publicité, les vitrines de luxe, les étalages alléchants, tout en laissant en marge une fraction importante de la population qu’elle provoque à l’assouvissement de ses besoins réels ou artificiellement créés, en même temps qu’elle lui refuse les moyens de satisfaire cet appétit. »
Romain Gary — Chien blanc
Ce sont bien évidemment les États-Unis que Romain Gary dépeint ici comme une véritable « société de provocation », où les rêves de réussite matérielle ne profitent qu’à une minorité de marchands de sable. De fait, au-delà de la question raciale (qui est l’objet principal de Chien blanc), l’Amérique moderne produit des inégalités socio-économiques dignes des plus beaux régimes féodaux. Et qui de mieux qu’un poète-clochard exilé de son URSS natale pour rendre la violence des frustrations qui bouillonnent aux tripes des néo-gueux états-uniens ? Voici un passage du Journal d’un raté, dans lequel Limonov se fait le porte-parole révolutionnaire de tous les losers du « Nouveau monde » :
« Ils viendront tous. Les voyous et les timides — ceux-là se battent bien. Les revendeurs de drogue et ceux qui distribuent les prospectus pour les bordels. Les masturbateurs, les clients des revues et des cinémas pornos. Ceux qui arpentent en solitaires les salles de musée ou consultent dans les bibliothèques chrétiennes et gratuites. Ceux qui mettent deux heures à siroter leur café chez McDonald’s en regardant tristement par la vitrine. Les ratés de l’amour, de l’argent et du travail, et ceux qui ont eu le malheur de naître dans une famille pauvre. Les retraités qui font la queue au supermarché dans la file réservée à ceux qui achètent moins de cinq articles. Les voyous noirs qui rêvent de se faire une Blanche de la haute et comme ils n’y arriveront jamais, ils la violent. Le doorman aux cheveux gris qui aimerait tant séquestrer et torturer l’insolente fille de riches du dernier étage. Les braves et les forts venus de tous les horizons pour briller et conquérir la gloire. Les homosexuels, enlacés deux par deux. Les adolescents qui s’aiment. Les peintres, les musiciens, les écrivains dont personne n’achète les œuvres. Les grande et vaillante tribu des ratés, losers en anglais, en russe niéoudatchniki. Ils viendront tous, ils prendront les armes, ils occuperont ville après ville, ils détruiront les banques, les usines, les bureaux, les maisons d’édition, et moi, Édouard Limonov, je marcherai dans la colonne de tête, et tous me reconnaîtront et m’aimeront. »
Extrait de Journal d’un raté, cité par Emmanuel Carrère dans son Limonov, folio, p.196-197. N’oubliez pas qu’il est impossible de travailler un texte sans l’œuvre complète. Vous pouvez acheter le livre en ligne et le récupérer dans la librairie la plus proche (ou le télécharger au format epub ou audio) via ce lien Place des Libraires : Limonov – Emmanuel Carrère