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Les Marchands de Joël Pommerat à L’Odéon-Théâtre de l’Europe (2013).
Dans cette ville, la majorité des habitants travaille à l’entreprise Narscilor. Il y a eu une explosion dans l’usine. Des blessés. La narratrice, qui souffre du dos, n’a pu venir travailler ce matin-là. Quelques jours plus tard, les employés se réunissent au café.
[…] Le parent de mon amie avait l’air lui aussi très troublé.
il avait du mal à trouver ses mots
lui si à l’aise d’habitude.
Il nous apprit que
la catastrophe qui venait de se dérouler
pourrait être suivie d’une catastrophe encore bien plus grande.
Il n’était pas certain nous dit-il que l’entreprise puisse rouvrir un jour
non
pas certain.
Il se trouvait qu’en très haut lieu des personnages
qui ne connaissaient sans doute pas bien la vie
avaient décrété
que notre entreprise était devenue dangereuse…
Il se trouvait que d’autres individus encore plus mal intentionnés
reprochaient également à cette entreprise
de produire des matières suspectes
comme par exemple
des matières permettant la fabrication
d’armes violentes
et radiales.
Pardon mais
c’était vraiment faux !
Nous n’avions tout de même pas inventé la guerre
la cruauté, la violence.
Nous n’étions pas responsables de l’utilisation qu’on pouvait faire de nos produits tout de même.
Nos produits sont dangereux certes.
Ils peuvent tuer certes,
d’horrible manière d’ailleurs,
mais il ne faudrait quand même pas oublier qu’ils nous font vivre.
Aujourd’hui ils ont tué quatre-vingt personnes
mais ils en nourrissent vingt-mille aussi.
Voilà ce que disait le parent de mon amie.
Nous étions choqués.
Jamais nous n’avions envisagé une fermeture définitive de notre entreprise.
Le parent de mon amie
dit qu’il allait se battre.
Il en appelait à réunir toutes nos forces.
C’était un combat pour la vie.
Pour sauver la vie donc
sauver notre travail.
A un certain moment je dis que jamais je ne pourrais envisager de ne pas travailler
et je me mis à pleurer.
Le parent de mon amie me consola.
Il me dit que tout le monde avait besoin de travail
que tous les hommes avaient besoin de travail
comme de l’air pour respirer.
Car me dit-il si l’on prive un homme de son travail on le prive de respirer.
A quoi pourrait bien servir notre temps nous dit-il si nous ne l’occupions pas principalement par le travail ?
Car notre temps sans le travail ne serait rien, ne servirait à rien même.
Nous nous en apercevons bien lorsque nous cessons de travailler.
Nous sommes tristes.
Nous nous ennuyons.
Nous tombons malades.
Oui.
Le travail est un droit mais c’est aussi
un besoin,
pour tous les hommes.
C’est même
notre commerce
à tous.
Car, c’est par cela que nous vivons.
Nous sommes pareils à des commerçants,
des marchands.
Nous vendons notre travail.
Nous vendons notre temps.
Ce que nous avons de plus précieux.
Notre temps de vie.
Notre vie.
Nous sommes des marchands de notre vie.
Et c’est ça qui est beau,
qui est digne et respectable
Et qui nous permet
surtout
de pouvoir nous regarder dans une glace
avec fierté…
Joël Pommerat, Les Marchands, Actes Sud Papiers, 2006, pp. 29-32. N’oubliez pas qu’il est impossible de travailler un texte sans l’œuvre complète. Vous pouvez voir le spectacle intégral en vidéo ici. Vous pouvez acheter le livre en ligne et le récupérer dans la librairie la plus proche (ou le télécharger au format epub) via ce lien LesLibraires : Joël Pommerat – Les Marchands