La Compagnie Affable

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Le Retour au désert de Koltès : le monologue de Mathilde

Jacqueline Maillan Retour au désert Koltès Patrice Chéreau

Jacqueline Maillan (Mathilde) dans la mise en scène de Patrice Chéreau

Monologue pour femme extrait du Retour au désert de Bernard-Marie Koltès

MATHILDE. La vraie tare de nos vies, ce sont les enfants; ils se conçoivent sans demander l’avis de personne, et, après, ils sont là, ils vous emmerdent toute la vie, ils attendent tranquillement de jouir du bonheur auquel on a travaillé toute notre vie et dont ils voudraient bien que l’on n’ait pas le temps de jouir. Il faudrait supprimer l’héritage : c’est cela qui pourrit les petites villes de province. Il faudrait changer le système de reproduction tout entier : les femmes devraient accoucher de cailloux : un caillou ne gêne personne, on le recueille délicatement, on le pose dans un coin du jardin, on l’oublie. Les cailloux devraient accoucher des arbres, l’arbre accoucherait d’un oiseau, l’oiseau d’un étang; des étangs sortiraient les loups, et les louves accoucheraient et allaiteraient des bébés humains. Je n’étais pas faite pour être une femme. J’aurais été le frère de sang d’Adrien, on se taperait sur l’épaule, on ferait des virées dans les bars et des parties de bras de fer, on se raconterait des histoires salaces la nuit, et de temps en temps on s’éclaterait les couilles à coups de poing dans la gueule. Mais je n’étais pas faite pour être un homme non plus ; encore moins, peut-être. Ils sont trop cons. Fatima a raison. Sauf qu’elle n’a pas vraiment raison. Les hommes entre eux savent être des copains, quand ils s’aiment bien ils s’aiment bien, ils ne se tirent pas dans les pattes ; d’ailleurs, c’est parce qu’ils sont cons qu’ils ne se tirent pas dans les pattes, ils n’y pensent pas, il leur manque un ou deux étages par rapport à nous. Parce que les femmes, lorsqu’elles sont amies, elles se tirent gaiement dans les pattes ; elles s’aiment et, parce qu’elles s’aiment, tout le mal qu’elles peuvent vous faire, elles vous le font. C’est à cause des étages supplémentaires dans leurs têtes.

Ne dites jamais à quelqu’un que vous avez besoin de lui, ou que vous vous ennuyez de lui, ou que vous l’aimez, parce qu’alors il pense tout de suite que c’est une raison suffisante pour se croire arrivé, pour prétendre porter le pantalon, pour s’imaginer tenir les rênes, pour prendre des airs de petit malin; il ne faut jamais rien dire, rien du tout, sauf dans la colère, car alors on dit n’importe quoi. Mais, lorsqu’on n’est pas en colère, comme maintenant, et à moins d’être une fichue bavarde, il vaut mieux se taire.

Quoi qu’il en soit, Adrien repartira avec moi, cela est clair dans ma tête, je le voulais, je l’aurai, je suis venue sans, je repartirai avec. Mais silence, plus de mensonge. Mathilde, le soir te trahit.

Le Retour au désert de Bernard-Marie Koltès, Acte IV, tableau 14. N’oubliez pas qu’il est impossible de travailler un texte sans l’œuvre complète. Vous pouvez acheter le livre en ligne et le récupérer dans une librairie de quartier via ce lien Place des Libraires : Le Retour au désert – Bernard-Marie Koltès 

→ Voir aussi notre liste de textes et de scènes issus du théâtre, du cinéma et de la littérature (pour une audition, pour le travail ou pour le plaisir)

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