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Mise en scène de Pauline Bureau au Théâtre de la Tempête en 2010 (Photo : Pierre Grosbois)
Voici un monologue pour homme extrait de la pièce Roberto Zucco de Bernard-Marie Koltès. Zucco est un dangereux criminel qui multiplie les crimes en cavale…
Tableau VI. Métro.
Zucco, Le Vieux Monsieur
Sous une affichette intitulée : « Avis de recherche », avec, au centre, le portrait de Zucco, sans nom ; assis côte à côte sur le banc d’une station de métro, après l’heure de fermeture, un vieux monsieur et Zucco.
ZUCCO. Je suis un garçon normal et raisonnable, monsieur. Je ne me suis jamais fait remarquer. M’auriez-vous remarqué si je ne m’étais pas assis à côté de vous? J’ai toujours pensé que la meilleure manière de vivre tranquille était d’être aussi transparent qu’une vitre, comme un caméléon sur la pierre, passer à travers les murs, n’avoir ni couleur ni odeur ; que le regard des gens vous traverse et voie les gens derrière vous, comme si vous n’étiez pas là. C’est une rude tâche d’être transparent ; c’est un métier ; c’est un ancien, très ancien rêve d’être invisible. Je ne suis pas un héros. Les héros sont des criminels. Il n’y a pas de héros dont les habits ne soient trempés de sang, et le sang est la seule chose au monde qui ne puisse pas passer inaperçue. C’est la chose la plus visible du monde. Quand tout sera détruit, qu’un brouillard de fin du monde recouvrira la terre, il restera toujours les habits trempés de sang des héros. Moi, j’ai fait des études, j’ai été un bon élève. On ne revient pas en arrière quand on a pris l’habitude d’être un bon élève. Je suis inscrit à l’université. Sur les bancs de la Sorbonne, ma place est réservée, parmi d’autres bons élèves au milieu desquels je ne me fais pas remarquer. Je vous jure qu’il faut être un bon élève, discret et invisible, pour être à la Sorbonne. Ce n’est pas une de ces universités de banlieue où sont les voyous et ceux qui se prennent pour des héros. Les couloirs de mon université sont silencieux et traversés par des ombres dont on n’entend même pas les pas. Dès demain je retournerai suivre mon cours de linguistique. C’est le jour, demain, du cours de linguistique. J’y serai, invisible parmi les invisibles, silencieux et attentif dans l’épais brouillard de la vie ordinaire. Rien ne pourrait changer le cours des choses, monsieur. Je suis comme un train qui traverse tranquillement une prairie et que rien ne pourrait faire dérailler. Je suis comme un hippopotame enfoncé dans la vase et qui se déplace très lentement et que rien ne pourrait détourner du chemin ni du rythme qu’il a décidé de prendre.
Roberto Zucco, Bernard-Marie Koltès, Tableau 6. N’oubliez pas qu’il est impossible de travailler un texte sans l’œuvre complète. Vous pouvez acheter le livre en ligne et le récupérer dans une librairie de quartier via ce lien Place des Libraires : Roberto Zucco – Bernard-Marie Koltès
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