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Lors d’un voyage en Thaïlande, Michel rencontre Robert, un ex-professeur de mathématiques qui s’adonne maintenant au tourisme sexuel, partageant sans honte ses observations sur les aptitudes sexuelles comparées des femmes du monde entier. Les deux hommes se croisent dans un bar à filles, où Robert se met à expliquer dans un long monologue comment il est devenu raciste, ou plutôt néo-raciste, selon sa propre théorie… (Attention, lecteurs, Robert est vraiment un vieux dégueulasse ! Ps : j’ai supprimé les commentaires intérieurs de Michel pour arranger le texte en monologue théâtral.)
ROBERT : (Gaiement.) Je suis raciste… Je suis devenu raciste… Un des premiers effets du voyage consiste à renforcer ou à créer les préjugés raciaux ; car comment imaginerait-on les autres avant de les connaître ? Comme identiques à soi, cela va sans dire ; ce n’est que peu à peu qu’on prend conscience que la réalité est légèrement différente. Quand il le peut, l’Occidental travaille ; souvent son travail l’ennuie ou l’exaspère, mais il feint de s’y intéresser : on observe cela. A l’âge de cinquante ans, las de l’enseignement, des mathématiques et de toutes choses, je décidai de découvrir le monde. je venais de divorcer pour la troisième fois ; sur le plan sexuel, je n’avais pas d’attente particulière. Mon premier voyage fut pour la Thaïlande ; tout de suite après, je suis parti à Madagascar. Depuis, je n’ai plus jamais baisé avec une Blanche ; je n’en ai plus jamais éprouvé le désir. Croyez-moi, la bonne chatte douce, docile, souple et musclée, vous ne la trouverez plus chez une Blanche ; tout cela a complètement disparu.
A l’époque où les Blancs se considéraient comme supérieurs, le racisme n’était pas dangereux. Pour les colons, les missionnaires, les instituteurs laïques du XIXe siècle, le Nègre était un gros animal pas très méchant, aux coutumes distrayantes, une sorte de singe un peu plus évolué. dans le pire des cas on le considérait comme une bête de somme utile, déjà capable d’effectuer des tâches complexes ; dans le meilleur des cas comme une âme fruste, mal dégrossie, mais capable par l’éducation de s’élever jusqu’à Dieu – ou jusqu’à la raison occidentale. De toute façon on voyait en lui un « frère inférieur », et pour un inférieur on n’éprouve pas de haine, tout au plus une bonhommie méprisante. Ce racisme bienveillant, presque humaniste, a complètement disparu. A partir du moment où les Blancs se sont mis à considérer les Noirs comme des égaux, il était clair qu’ils en viendraient tôt ou tard à les considérer comme supérieurs. (En levant l’index.) La notion d’égalité n’a nul fondement chez l’homme.
Les Blancs se considérant eux-mêmes comme inférieurs, tout est prêt pour l’apparition d’un racisme de type nouveau, basé sur le masochisme : historiquement, c’est dans ces conditions qu’on en arrive à la viole,ce, à la guerre interraciale, et au massacre. Tous les antisémites, par exemple, s’accordent à attribuer aux Juifs une supériorité d’un certain ordre : si vous lisez les écrites antisémites de l’époque, vous serez frappé par le fait que le Juif est considéré comme plus intelligent, plus malin, qu’on lui prête des qualités spéciales dans le domaine de la finance – et, par ailleurs, de la solidarité communautaire. Résultat : six millions de morts.
(Pressentant une remarque de Michel, il s’exclame.) Je ne suis pas juif !
Le racisme semble d’abord se caractériser par une antipathie accrue, une sensation de compétition plus violente entre mâles de race différente ; mais il a pour corollaire une augmentation du désir pour les femelles de l’autre race. (Articulant avec netteté.) Le véritable enjeu de la lutte raciale n’est ni économique, ni culturel, il est biologique et brutal : c’est la compétition pour le vagin des jeunes femmes.
Vous avez raison d’avoir peur. Je prévois pour les années à venir une augmentation des violences raciales en Europe ; tout cela se terminera en guerre civile ; tout cela se réglera à la Kalachnikov.
(Il repose son verre sur la table avec violence.) Je n’en ai plus rien à foutre ! Je suis un Occidental, mais je peux vivre où je veux, et pour l’instant c’est encore moi qui ai le fric. Je suis allé au Sénégal, au Kenya, en Tanzanie, en Côte-d’Ivoire. Les filles sont moins expertes que les Thaïes, c’est vrai, elles sont moins douces, mais elles sont bien cambrées, et elles ont une chatte odorante. (Quelques souvenirs lui reviennent.) Elles se mettent à quatre pattes, les petites négresses, elles présentent leur chatte et leur cul ; (dans un murmure.) et l’intérieur de leur chatte est tout rose… […]
Il m’apparut d’un seul coup comme un homme battu, fini ; j’avais l’impression qu’il n’avait même plus vraiment envie de faire l’amour à ces filles. On peut caractériser la vie comme un processus d’immobilisation, bien visible chez le bouledogue français – si frétillant dans sa jeunesse, si apathique dans son âge mûr. Chez Robert, le processus était déjà bien avancé ; il avait peut-être encore des érections, mais ce n’était même pas certains ; on peut toujours faire le malin, donner l’impression d’avoir compris quelque chose à la vie, toujours est-il que la vie se termine.
Monologue pour homme extrait du roman Plateforme de Michel Houellebecq, J’ai Lu, p111-115. N’oubliez pas qu’il est impossible de travailler un texte sans l’œuvre complète. Vous pouvez acheter le livre en ligne et le récupérer dans la librairie la plus proche via ce lien Place des Libraires : Plateforme — Michel Houellebecq