La Compagnie Affable

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Deux femmes pour un fantôme de René de Obaldia : monologue de Brigitte

Maria Mauban

Maria Mauban, qui jouait Brigitte quand la pièce fut créée.

Scène d’exposition de la pièce Deux femmes pour un fantôme : Brigitte Freycinet a appris que son époux la trompait. Voilà « dix jours, dix nuits qu’elle tourne en rond en elle-même ». Elle décide d’inviter la maîtresse de Pierre, une femme « un peu plus jeune, un peu plus désinvolte, un peu plus sportive, un peu plus affirmée… » Et, en attendant cette fameuse  Viviane, Brigitte se lance dans un monologue drôle de détresse…

BRIGITTE, tout en arpentant la pièce. — Piano, piano, Brigitte. Du calme. Sei ruhig, mein Kind, sei ruhig. Ma non troppo. Mollo. Piano. Ne te mets pas dans un état pareil ; elle va venir, elle n’est pas en retard… Et même quand on est en retard, à Paris, on n’est pas en retard. À moins de se tromper de jour… Du calme, Brigitte, du calme. Domine-toi. Piano… Piano. (Brigitte va et vient d’un du salon à l’autre. Elle prend une bouteille de gin sur la table roulante et se verse, dans un grand verre, une quantité non négligeable d’alcool avec, tout de même, un peu d’eau. Après avoir bu.) Quand elle sera là, elle sera là… Elle sera là ! (Mimant la scène.) Entrez, entrez Madame ; c’est bien ici… Vous avez trouvé sans difficulté ?… Avec tous ces sens interdits !… Sans parler des travaux : l’extension du réseau téléphonique, le Métro Express Régional, les fouilles carolingiennes… Entrez, Madame la Maîtresse de mon mari… (S’adressant au canapé, avec emphase.) Maîtresse des Maîtresses, Bougresse des Bougresses… Je ne suis que sa femme, que son humble servante, que son écuelle de son… Prenez ce siège, Madame, montez sur le trône ! Je baise les plis de votre robe. La poussière de vos pas s’imprime en lettres d’or. Votre haleine est le miel du zéphyr. L’ivoire de vos mains confond les aubes rougissantes… Et puis, merde ! (Sans trop savoir pourquoi, Brigitte retire ses chaussures et les pose sur la table.) Je pourrais le prendre de plus haut. Je dois le prendre de plus haut. Me draper dans mon offense. (Toujours au canapé.) Vous désirez, Madame ?

Faisant les questions et les réponses.

— Je désire votre mari.
— Très original !
— J’ajoute qu’il me désire aussi.
— La loi de Clifton.
— Pardon ?
— La loi de Clifton, la loi des champs magnétiques : lorsqu’un corps aimanté dérivant dans l’espace rencontre un autre corps inversement proportionnel au carré de sa distance… Excusez-moi, j’essaie de « débanaliser » la situation.
— Parce que vous trouvez…
— D’une banalité à faire pleurer, Madame… (Sur le point de pleurer.) Tu ne vas pas te mettre à pleurer, Brigitte ?… Vous disiez, Madame ?
— Pierre et moi, nous ne pouvons plus vivre l’un sans l’autre ; nous ne pouvons plus vivre sans ce désir, sans cette exaltation génésique de tout notre être. (S’arrêtant net et froidement.) « Exaltation génésique de tout notre être. » Je cite. C’est dans sa lettre. Tu parles d’un style !… Conasse !… (Reprenant avec lyrisme.) Oui, dis-je, sans cette exaltation génésique, biotique et apostolique, les jours et les nuits tombent sur nous comme des peaux mortes ; Pierre et moi nous avons l’impression de nous enfoncer dans un désert…
— Un désert. Et moi-même je ne suis que du sable. Une statue de sable. Soufflez, chère Madame, Sultane des Sultanes, soufflez fort : vous allez me voir me désagréger. (Elle souffle.) Voilà, je n’existe plus… une poignée de sable qui coule entre vos doigts… Je n’existe plus, je n’ai jamais existé. J’ai fait semblant jusqu’à aujourd’hui. C’était pour rire. C’était… en vous attendant… En vous attendant, si vous le permettez, je vais mettre un peu de musique : la troisième sonate pour piano de Brejnev.

Brigitte joue le disque. Nous entendons les premières mesures. Sonnerie de la porte d’entrée…

Deux femmes pour un fantôme de René de Obaldia, Grasset, 1973, p. 15-33. N’oubliez pas qu’il est impossible de travailler un texte sans l’œuvre complète. Vous pouvez acheter le livre en ligne et le récupérer dans la librairie la plus proche via ce lien Place des Libraires : René de ObaldiaThéâtre (Tome 5).

→ Voir aussi notre liste de textes et de scènes issus du théâtre, du cinéma et de la littérature (pour une audition, pour le travail ou pour le plaisir)

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