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En pleine représentation de la pièce Électre, l’actrice Elisabet Vogler (Liv Ullmann) se fige soudain dans un mutisme total. Ce comportement étrange lui vaut d’être internée dans un hôpital. Mais la psychiatre en charge de son cas écarte rapidement la piste de l’hystérie. Elle observe que ni la santé physique ni la santé mentale de la comédienne ne sont en cause. Elisabet est alors envoyée dans une maison au bord de la mer, sous la surveillance d’Alma (Bibi Andersson), une jeune infirmière très spontanée, qui va souffrir du silence cruel d’Elisabet, et subir une inquiétante influence…
ALMA, menaçante. — Elisabet… C’est quoi, ça ? Que caches-tu sous ta main ? Montre-moi. C’est la photo de ton petit garçon que tu avais déchirée. Nous devons en parler. Raconte-moi, Elisabet. (Elisabet fait non de la tête.) Alors je le ferai. C’était un soir de fête, n’est-ce pas ? Il était tard, l’ambiance était agitée. À l’aube, quelqu’un t’a dit : « Elisabet, tu as tout ce qu’on peut désirer, comme femme et comme artiste, mais il te manque la maternité. » Tu as ri, ça t’a paru ridicule. Mais après, tu n’as pas arrêté d’y penser. (Elisabet refait non de la tête.) Tu étais de plus en plus inquiète. Tu as laissé ton mari te faire un enfant. (Elisabet se trouble.) Tu voulais être mère. Quand c’est devenu une réalité, tu as eu peur. Peur de la responsabilité, peur d’être enchaînée, peur de devoir quitter le théâtre. Peur de la douleur, peur de la mort, peur de ton corps qui enflait. Pourtant, tu jouais ton rôle. Le rôle d’une future mère, jeune et heureuse. Tout le monde disait : « Elle est superbe. Elle n’a jamais été aussi belle. » Plusieurs fois, tu as essayé de te débarrasser du foetus. Mais tu as échoué. Quand c’est devenu irréversible, tu t’es mise à haïr le bébé. À espérer qu’il soit mort-né. Tu voulais que ton bébé meure. Tu voulais un bébé mort-né. L’accouchement a été long et difficile. Tu as souffert pendant des jours. On a fini par sortir le bébé au forceps. Dégoûtée et terrorisée par ce bébé gémissant et déformé, tu murmures : « Meurs vite, s’il te plaît. Vas-y, meure. » Mais il a survécu. Le petit garçon pleurait jour et nuit. Tu le détestais. Tu avais peur, tu culpabilisais. L’enfant a été confié par la famille à une nourrice. Tu as pu quitter ton lit et retourner au théâtre. Mais tu n’as pas fini de souffrir. L’enfant s’est pris d’un amour intense et incompréhensible pour sa mère. Tu essaies d’y échapper. Tu es désespérée. Tu sens que tu ne peux pas le lui rendre. Et tu essaies, tu essaies… Mais vos rencontres restent cruelles et maladroites. Tu n’y arrives pas. Tu es froide et indifférente. Il te regarde. Il t’aime et il est tellement doux. Tu veux le frapper, il ne te laisse pas tranquille. Il te répugne avec sa grosse bouche et son corps si laid, ses yeux humides et suppliants. Il te répugne et tu as peur… (Alma revient à elle-même. Dans un grand trouble.) Non ! Je ne suis pas comme toi. Je n’ai pas les mêmes sentiments. Je suis Alma, l’infirmière venue pour t’aider. Je ne suis pas Elisabet Vogler ! Tu es Elisabet Vogler ! J’aimerais avoir… J’aime… Je n’ai pas…
Scène pour deux femmes tirée du film Persona d’Ingmar Bergman (texte français extrait de la VF du site Mubi). N’oubliez pas qu’il est impossible de travailler une scène sans connaître l’oeuvre intégrale. En ce moment, vous pouvez regarder le film sur Mubi (7 jours d’essai gratuit) en cliquant sur ce lien.