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Carey Mulligan dans le rôle de Kyra (2014).
Kyra Hollis est professeure dans un quartier difficile de Londres. Tom, son ancien amant, lui rend une visite impromptue. La philosophie du businessman s’écarte fortement des convictions de la jeune femme… (La traduction en français suit le texte original en anglais.)
KYRA : ‘Female’? That’s a very odd choice of word. You see I’m afraid I think this is typical. It’s something that happened… it’s only happened of late. That people should need to ask why I’m helping these children. I’m helping them because they need to be helped. Everyone makes merry, discussing motive. Of course she does this. She works in the East End. She only does it because she’s unhappy. She does it because of a lack in herself. She doesn’t have a man. If she had a man, she wouldn’t need to do it. Do you think she’s a dyke? She must be fucked up, she must be an Amazon, she must be a weirdo to choose to work where she does … Well I say, what the hell does it matter why I’m doing it? Why anyone goes out and helps? The reason is hardly of primary importance. If I didn’t do it, it wouldn’t get done. I’m tired of these sophistries. I’m tired of these right-wing fuckers. They wouldn’t lift a finger themselves. They work contentedly in offices and banks. Yet now they sit pontificating in parliament, in papers, impugning our motives, questioning our judgements. And why? Because they themselves need to feel better by putting down everyone whose work is so much harder than theirs. (She stands, nodding) You only have to say the words ‘social worker’ … probation officer’ … ‘counsellor’ …for everyone in this country to sneer. Do you know what social workers do? Every day? They try and clear out society’s drains. They clear out the rubbish. They do what no one else is doing, what no one else is willing to do. And for that, oh Christ, do we thank them? No, we take our own rotten consciences, wipe them all over the social worker’s face, and say ‘if …’ FUCK! ‘if I did the job, then of course if I did it … oh no, excuse me, I wouldn’t do it like that …’ (She turns, suddenly aggressive.) Well I say: ‘OK, then, fucking do it, journalist. Politician, talk to the addicts. Hold families together. Stop the kids from stealing the streets. Deal with couples who beat each other up. You fucking try it, why not? Since you’re so full of advice. Sure, come and join us. This work is one casino. By all means. Anyone can play. But there’s only one rule. You can’t play for nothing. You have to buy some chips to sit at the table. And if you won’t play with your own time … with your own effort … then I’m sorry. Fuck off!’
KYRA. — Femme-professeur… ? C’est très étrange cette façon de parler de mon travail. Malheureusement, c’est devenu typique. Ça fait un moment, pas si longtemps à vrai dire, que les gens me demandent pourquoi j’aide ces enfants. Je les aide parce qu’ils ont besoin d’être aidés. Pourtant, tout le monde y va de sa petite explication et ragote avec un malin plaisir. Évidemment qu’elle fait ça, qu’elle travaille là-bas. Elle fait ça parce qu’elle est malheureuse, tout simplement. Elle fait ça parce qu’elle veut combler un manque. Elle n’a pas d’homme dans sa vie. Si elle avait un homme, elle n’aurait pas besoin de faire ça. Vous pensez qu’elle est goudou ? Parce qu’il faut être tarée, il faut être une Amazone, il faut être vraiment bizarre pour choisir de bosser là-dedans… Mais, dites-moi, qu’est-ce que ça peut foutre ? Quel intérêt de se demander pourquoi je fais ça ? Pourquoi n’importe qui en vient à aider les autres ? Les raisons que chacun peut avoir n’ont aucune importance. Si je ne le faisais pas, personne ne le ferait, c’est tout.
Ces faux raisonnements m’épuisent. J’en ai ma claque de tous ces connards d’extrême-droite. Ils ne lèvent jamais le petit doigt. Ils bossent bien tranquillement dans leurs banques, dans leurs bureaux. Seulement, aujourd’hui, ils se permettent de donner des leçons depuis leur fauteuil. Au parlement, dans les journaux. Ils questionnent nos motivations, notre capacité de jugement. Et pourquoi, je vous prie ? Parce qu’ils ont eux-mêmes besoin de soulager leur conscience, en rabaissant les gens qui font un boulot bien plus dur que le leur. Dans notre pays, il suffit maintenant de prononcer les mots « travailleur social », « agent de probation », ou « conseiller d’orientation », pour que tout le monde vous regarde avec mépris. Mais vous savez ce que font les travailleurs sociaux ? Tous les jours ? Ils essaient de nettoyer les égouts de la société. Ils ramassent les ordures. Ils font ce que personne ne fait, ce que personne ne veut faire. Est-ce qu’on les remercie pour cela ? Mon dieu, non ! Nous sortons notre morale pourrie pour leur jeter au visage en disant : « Si… » PUTAIN ! « Si j’avais dû m’en occuper, excusez-moi, mais je n’aurais pas fait comme ça… » Et bien, fais-le, alors ! Mais vas-y, putain ! Toi, le journaliste ! Toi, le politicien ! Va parler aux junkies ! Va soutenir les familles déchirées ! Empêche les gamins de voler ! Occupe-toi des couples qui se tapent dessus ! Pourquoi t’essayerais pas, sans déconner ? Avec tous tes bons conseils. Ouais, viens nous rejoindre. C’est le casino, ce boulot. Tu vas voir. Tout le monde peut jouer. Il y a juste une règle à respecter, et c’est celle-ci : personne ne peut jouer sans miser. Pour s’asseoir à la table, il faut acheter des jetons. Et si tu n’es pas prêt à payer ces jetons avec ton temps et tes propres efforts, eh, bien, je suis désolée, mais va te faire foutre !
Monologue pour femme extrait de la pièce Skylight de David Hare. Traduction française de Valentin Martinie. N’oubliez pas qu’il est impossible de travailler une scène sans connaître l’oeuvre intégrale. Vous pouvez acheter le texte en ligne (au format EPUB) sur le site Place des Libraires : Skylight de David Hare