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Marlon Brando (Val) et Anna Magnani (Lady) dans The Fugitive Kind de Sidney Lumet.
Valentine « Snakeskin » Xavier (Marlon Brando à l’écran) est un musicien au charisme animal. Après avoir failli perdre sa guitare et sa liberté, il fuit la Nouvelle-Orléans et atterrit dans une petite ville du Sud, où Lady (Anna Magnani) tient une boutique, sous la férule d’un mari tyrannique, cloué au lit par une maladie. Val espère être embauché dans le magasin. (Le texte en anglais suit la traduction en français.)
LADY est au téléphone dans sa boutique. Val entre, avec sa veste en peau de serpent sur les épaules et sa guitare à la main.
LADY. — Oh, bonsoir, M. Dubinsky. Oui, c’est Mme Torrance. Je suis désolé de vous réveiller, mais je viens de rentrer de l’Hôpital de Memphis avec mon mari, et j’ai oublié ma boîte de somnifères dans… Je comprends, mais j’en ai vraiment besoin. Ca fait trois nuits que je ne dors plus… Mais… Hé bien, apportez-les vous-même alors ! Parce que je suis en train de devenir folle ! Très bien, merci… (Elle raccroche.) Je tremble de froid. Il fait un froid de gueux la nuit dans cette boutique. Qu’est-ce que vous voulez ? Je vais aller me coucher, maintenant.
VAL, retire sa veste et la met sur les épaules de Lady. — Tenez, madame. Mettez ça sur vos épaules, ça ira mieux, vous verrez.
LADY. — Qu’est-ce que c’est cette matière ? De la peau de serpent ?
VAL. — Mmh. Exactement. De la peau de serpent.
LADY. — C’est pas commun, ça. Qu’est-ce que vous faites avec une veste en peau de serpent ?
VAL. — C’était ma marque de fabrique. Je travaillais dans le spectacle à la Nouvelle-Orléans.
LADY. — Ça tient chaud, en tout cas.
VAL. — C’est probablement la chaleur de mon corps.
LADY. — Je vois… Vous avez le sang chaud, quoi. Et qu’est-ce qui vous amène par ici ?
VAL. — Je cherche du travail. Madame Talbot m’a dit que vous auriez peut-être du boulot pour moi.
LADY. — Mmm… Je n’ai rien pour un gars comme vous.
VAL. — Qu’est-ce que ça veut dire, « un gars comme moi » ?
LADY. — Un gars qui joue de la guitare, et qui parle à tout le monde de la chaleur de son corps.
VAL. — Mais c’est vrai ce que je vous ai dit. La température de mon corps est toujours deux degrés au-dessus de la normale. Comme les chiens.
LADY. — Hmm…
VAL. — Vous ne me croyez pas ?
LADY. — Ah ah. Au contraire, j’ai toutes les raisons de vous croire ! Malheureusement, je ne peux pas embaucher un inconnu qui débarque avec une guitare, une veste en peau de serpent, et qui a la température corporelle d’un chien. (Elle retire la veste.)
VAL. — Je vous en prie, gardez-là, madame.
LADY. — Non merci. Je dois aller me coucher, maintenant. C’est l’heure d’y aller.
VAL. — J’ai nulle part où aller.
LADY. — Tout le monde a ses problèmes. Ça ne me regarde pas.
VAL. — Attendez, madame… Je sais faire tout un tas de réparations électriques, de petits boulots, et j’ai vraiment besoin de ce travail…
LADY. — Et votre guitare, alors ? Vous en avez marre ?
VAL. — Non, madame. C’est ma meilleure amie. Mais j’ai dû m’en séparer une fois, et je veux plus que ça se reproduise. J’ai besoin d’un travail régulier.
LADY, elle regarde la guitare. — Qu’est-ce que c’est toutes ces inscriptions ?
VAL. — Ah, ça… C’est des autographes de musiciens de jazz célèbres. Vous voyez ce nom, là ? Leadbelly ? C’était le plus grand guitariste de tous les temps. Il jouait si bien de la douze-cordes qu’il a fait fondre le coeur de pierre d’un gouverneur du Texas. Et c’est comme ça qu’il est sorti de prison. Son nom est écrit dans le ciel. Celui-ci, c’est Jefferson. Blind Lemon Jefferson.
LADY. — Son nom aussi est écrit dans le ciel ?
VAL. — Ouais. Son nom est écrit dans le ciel.
LADY. — Vous êtes un drôle de gars, vous savez… Bon, est-ce que vous avez une lettre de recommandation au moins ?
VAL. — Euh, oui, madame, j’en ai une. Je l’ai là, dans ma poche… (Il fouille dans ses poches, et en retire une enveloppe froissée.) Et voilà !
LADY, lit la lettre. — Voyons ça. « Ce garçon a travaillé dans mon garage. Il travaille dur et il est honnête. Mais c’est un… c’est un drôle de causeur, et c’est pourquoi j’ai dû m’en séparer. Mais j’aurais voulu… le guider… ah, j’aurais voulu le garder. Salutations respectueuses. »
VAL. — C’est ce qu’il y a écrit ?
LADY. — Oui, une sacrée recommendation !
VAL. — Hmm. C’est vrai que c’est pas terrible…
LADY. — Cela dit, il ne faut pas toujours écouter ce que les gens disent de vous. (On frappe à la porte.) Ah, c’est le marchand de sable, qui apporte mes somnifères. (Elle va chercher ses somnifères et revient.) Vous avez déjà eu des problèmes de sommeil ?
VAL. — Non. Je peux dormir ou ne pas dormir aussi longtemps ou aussi peu de temps que je veux. Je peux dormir sur un sol en béton. Je peux rester debout 48 heures sans même avoir sommeil. Je peux aussi retenir ma respiration pendant 3 minutes, et sans m’évanouir. J’ai parié ça une fois, pour 10 dollars, et j’ai réussi sans problème.
LADY. — Je vois. Je vois ce que votre patron voulait dire par : « ce garçon est un drôle de causeur. » Très bien, et qu’est-ce que vous savez faire encore ? Vous avez d’autres super-pouvoirs ?
VAL. — Et ben, on dit qu’une femme peut faire fondre un homme, vous savez… ?
LADY. — Mmm.
VAL. — Moi, je peux faire fondre n’importe quelle femme. Je pourrais le faire, mais ça veut pas dire que j’ai envie de le faire, hein.
LADY. — Vous n’en avez plus envie ? Les femmes vous ont fatigué ?
VAL. — Non, je suis pas fatigué. J’en ai juste ma claque.
LADY. — Je comprends.
VAL. — Vous savez, Lady, dans ce monde, il y a des gens qu’on achète et qu’on vend, comme les carcasses de porc qu’on voit chez le boucher. On peut croire que les gens sont tous différents, mais en vérité, y’a que deux catégories de personnes sur cette Terre : les acheteurs, et ceux qui se font acheter. Enfin, non. Il y a une autre espèce, encore.
LADY. — Quelle espèce ?
VAL. — Une espèce qui n’est chez elle nulle part. Y’a une espèce d’oiseau, comme ça, qui n’a pas de pattes, et qui ne peut jamais se poser. Il faut qu’ils volent toute leur vie, portés par leurs ailes, dans les airs. J’en ai vu un, un jour. Il était mort, il venait de tomber par terre. Il avait un corps bleu pâle. Il était minuscule, de la taille de mon petit doigt. Il était si léger dans ma main, il pesait pas plus lourd qu’une plume. Ses ailes se déployaient large comme ça, et on voyait à travers. C’est pour ça que les faucons n’arrivent pas à les attraper, parce qu’ils les voient pas. Ils les voient pas tout là-haut, dans le bleu du ciel et la lumière du soleil.
LADY. — Et quand le temps est gris ?
VAL. — Et bien, quand le ciel est gris ils volent si haut que les faucons chopent le vertige. Vous comprenez, ces petits oiseaux ont pas de pattes. Alors ils passent leur vie portés par le vent. Même dans leur sommeil, ils sont portés par le vent. Voilà comment ils vivent, ils déploient leurs ailes, et ils s’endorment au gré du vent. Et la seule fois où vous les verrez sur la terre ferme, c’est qu’ils seront morts.
LADY is speaking on the phone in her shop. Val enters, with his snakeskin jacket on and holding his guitar.
LADY. — Oh, hello, Mr Dubinsky. Yes, this is Mrs. Torrance. I’m sorry to wake you up, but I just brought my husband back from the Memphis Hospital. I left my box of Luminal tablets in… Well, I got to have some. I haven’t slept for 3 nights… But… Then bring them yourself! Yes, because I’m going to pieces right this minute! OK, thank you… (She hangs up the phone.) I’m shivering. It’s cold as an ice plant at night in this store. What do you want? I got to go up now.
VAL, takes off his jacket and puts it on Lady’s shoulders. — Here, ma’am. Why don’t you just put this on you, ma’am. Hmm? How’s that?
LADY. — What is that? Snakeskin?
VAL. — Mmm-hmm. That’s what it is. Snakeskin.
LADY. — What are you doing with a snakeskin jacket?
VAL. — It used to be a trademark. It was a… I used to be an entertainer in New Orleans.
LADY. — It feels warm, all right.
VAL. — Probably warmth from my body.
LADY. — You must be a warm-blooded boy. What are you looking for, aroud here?
VAL. — Well, some work. Mrs. Talbot said that you might have some work for me.
LADY. — Mmm… Boys like you don’t work.
VAL. — What do you mean, ‘‘boys like me’’?
LADY. — Ones that play the guitar, and go around talking about how warm they are.
VAL. — That happened to be the truth. You know, my temperature’s always a couple of degrees above normal. The same as a dog’s.
LADY. — Hmm…
VAL. — You don’t believe me?
LADY. — I have no reason to doubt you, believe me. Well, I couldn’t hire no stranger with a snakeskin jacket and a guitar. And a temperature as high as a dog’s. (She takes off the jacket.)
VAL. — Keep it on, ma’am.
LADY. — No, thank you. I got to go up now. You better go.
VAL. — I got no place to go.
LADY. — Well, everyone’s got a problem. That’s yours.
VAL. — Ma’am, I do all kinds of electrical repairs, I do odd jobs, and I need the work real bad.
LADY. — What’s the matter with your guitar? Are you tired of it, hmm?
VAL. — No, ma’am. That’s my life’s companion, but I had to hock it once, and I don’t want to do that anymore. I need a steady job.
LADY. — What’s all that writing on it?
VAL. — Well, that’s uh… All that’s autographs of famous jazz musicians. See this name here? Leadbelly. That was the greatest man that ever lived on 12-string guitar. He played that thing so good he broke the stone heart of a Texas governor and won himself a pardon out of jail. His name is written in the stars. This one here. Jefferson. Blind Lemon Jefferson.
LADY. — Is his name written in the stars, too?
VAL. — Yeah. his name is written in the stars.
LADY. — You’re a peculiar somebody, all right… You got any character reference, hum?
VAL. — Uh, yes, ma’am, I do. I got this letter here. (He fumbles in his pockets and gets out a crumbled envelope.)
LADY. — Let’s see.
VAL. — Right here.
LADY, reading the letter. — ‘‘This boy worked for me in my auto repair shop. And he’s a real hard worker and he’s honest. But he’s a… He’s a peculiar talker, and that is the reason I got to let him go. But would like to… to put him… ah, would like to keep him. Yours truly.’’
VAL. — Is that what it says?
LADY. — Yeah, some reference!
VAL. — Hmm. I guess it ain’t.
LADY. — However, what people say about you don’t mean much. (Knock at the door.) Oh, that’s the Sandman, with my sleeping tablets. You ever have trouble sleeping?
VAL. — No. I can’t sleep or not sleep for as long or as short as I want to. I can sleep on a concrete floor. Go without sleepin’ for 48 hours without even feelin’ sleepy. And I can hold my breath for 3 minutes, not even blackin’ out. I made a bet once for $10 that I could do it and I did it.
LADY. — I see. I see what that auto repairman was talking about whan he said, ‘‘This boy is a peculiar talker.’’ Well, what else can you do? Tell me some more about your self-control. Hmm?
VAL. — Well, they say that a woman can burn a man down, you know?
LADY. — Mmm.
VAL. — But I can burn a woman down. I’m sayin’ that I could, I’m not sayin’ that I would.
LADY. — What’s the matter? Have they tired you out?
VAL. — I’m not tired. I’m just fed up.
LADY. — You’re right.
VAL. — You know, Lady, there is people bought and sold in this world, like carcasses of hogs in butcher shop. You might think there’s many kinds of people in this world. But there’s only two kinds : the buyers and the one sthat get bought. No. There’s another kind.
LADY. — What kind?
VAL. — It’s a kind that don’t belong no place at all. There’s a kind of bird that don’t have any legs so it can’t land on nothin’. So it has to spend its whole life on its wings in the air. I seen one, once. It died and fell to earth. And its body was light blue colored. And it was just as tiny as your little finger. And it was so light in the palm of your hand that it didn’t weigh more than a feather. And its wings spread out that wide, and you could see right through them. That’s why the hawks don’t catch’em, because they don’t see ‘em. They don’t see ‘em way up in that high blue sky near the sun.
LADY. — What about in grey weather?
VAL. — Well, they fly so high in grey weather the hawks they’d get dizzy. See, these little birds don’t have no legs at all. So they have to live their whole lives on the wind. And they sleep on the wind. That’s what they do, they just… They just spread their wings out and go to sleep on the wind. And they only land on this earth but one time, it’s when they die.
Scène pour un homme et une femme. Dialogue extrait du film The Fugitive Kind (L’Homme à la peau de serpent) de Sidney Lumet (1960). Script de Meade Roberts et Tennessee Williams, écrit d’après la pièce Orpheus Descending de Tennessee Williams.