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Rod Steiger (Sol Nazerman) dans The Pawnbroker.
Sol Nazerman est un survivant de la Shoah, hanté par le massacre de sa famille et l’horreur des camps. Il est maintenant prêteur sur gages à Harlem. Son apprenti, Jesus Ortiz, un jeune Portoricain naïf et impatient de réussir, lui pose cette question…
ORTIZ. — Dites, M. Nazerman, comment vous faites pour être tous aussi bons en affaires ?
M. NAZERMAN. — Tous…? Oh, je vois. D’accord. Je vois. Je vois, tu veux connaître le secret de notre réussite, c’est ça ? Très bien, je vais te donner notre secret, alors. D’abord, il faut prévoir une période de plusieurs millénaires pendant laquelle tu n’auras rien d’autre à manger qu’une grande légende barbue. Imagine, mon ami : tu n’as aucune terre à toi, aucun terrain à cultiver, nulle part où chasser. Tu n’as rien. Tu ne restes jamais assez longtemps quelque part pour ressentir le besoin de dessiner une carte, de construire une caserne, d’imaginer une terre natale. Tu n’as que ton petit cerveau pour toi. Un petit cerveau et une grande légende barbue pour survivre, et te convaincre que tu es spécial, même dans la pauvreté. Mais c’est justement ce petit cerveau qui fait toute la différence. Grâce à ce petit cerveau, une idée te vient : tu cours acheter un bout de tissu, tu coupes en deux ce bout de tissu, et tu le revends ensuite un centime plus cher que son prix d’origine. Et puis tu cours acheter un autre morceau de tissu, tu le coupes en trois, et cette fois, la vente te rapporte trois centimes. Mais attention, mon ami, pendant ce temps-là, il faut résister à la tentation, pas question d’acheter un morceau de pain en rab, ou un jouet pour les enfants, non. Sans attendre, tu dois courir acheter un bout de tissu plus grand, et ainsi de suite, encore et encore, jusqu’à ce que tu t’aperçoives soudain que tu n’as plus un seul désir, plus aucune envie de cultiver la terre pour te nourrir, ni de contempler l’horizon autour de ta maison, non, non. Tu répètes ce mécanisme, inlassablement, pendant des siècles et des siècles, et tout à coup, tu fais cette grande découverte : toute ton histoire est mercantile. Tu es un marchand-né. Et tout le monde te voit comme un usurier, un homme qui cache des trésors, une sorcière, un prêteur sur gages, un tueur de Christ, un youtre et un youpin !
ORTIZ, après une longue pause. — Vous expliquez tellement bien, M. Nazerman, je vous jure. Vous êtes le meilleur prof que j’ai jamais eu.
ORTIZ : Say, how come you people come to business so naturally?
MR. NAZERMAN : You people? Oh, let’s see. Yeah. I see. I see, you… you want to learn the secret of our success, is that right? Alright, I’ll teach you. First of all you start off with a period of several thousand years, during which you have nothing to sustain you but a great bearded legend. Oh my friend you have no land to call your own, to grow food on or to hunt. You have nothing. You’re never in one place long enough to have a geography or an army or a land myth. All you have is a little brain. A little brain and a great bearded legend to sustain you and convince you that you are special, even in poverty. But this little brain, that’s the real key you see. With this little brain you go out and you buy a piece of cloth and you cut that cloth in two and you go and sell it for a penny more than you paid for it. Then you run right out and buy another piece of cloth, cut it into three pieces and sell it for three pennies profit. But, my friend, during that time you must never succumb to buying an extra piece of bread for the table or a toy for a child, no. You must immediately run out and get yourself a still larger piece of cloth and so you repeat this process over and over and suddenly you discover something. You have no longer any desire, any temptation to dig into the earth to grow food or to gaze at a limitless land and call it your own, no, no. You just go on and on and on repeating this process over the centuries over and over and suddenly you make a grand discovery. You have a mercantile heritage! You are a merchant. You’re known as a usurer, a man with secret resources, a witch, a pawnbroker, a sheeny, a mockey and a kike!
ORTIZ : [long pause] You really some teacher, Mr. Nazerman. You really, really’s the greatest.
Extrait du film The Pawnbroker (Le Prêteur sur gages) de Sidney Lumet. Traduction maison. Le scénario est tiré de l’oeuvre éponyme d’Edward Lewis Vallant. Vous pouvez acheter le livre en ligne et le récupérer dans la librairie la plus proche via ce lien Place des Libraires : Le Prêteur sur gages — Edward Lewis Vallant