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Isabelle Adjani (Agnès) dans L’École des Femmes en 1973.
Alicia grandit cloîtrée dans une résidence fortifiée au milieu de la forêt, où son père la maintient dans une «pureté» délirante. Mais les émois adolescents de sa soeur cadette Evelyne, puis l’intrusion d’un jeune homme dans la propriété, vont pousser le patriarche tyrannique à commettre l’irréparable. Deux fois. Malgré son éducation inhumaine, la libération a sonné pour Alicia…
« Alicia Kew se tenait dans l’ombre, à l’orée du bois. « Pardonne-moi, père, pardonne-moi! » gémit-elle, avant de s’abattre sur l’herbe, vaincue par le chagrin, l’angoisse et déchirée par les conflits.
ALICIA. — Pardonne-moi. Pardonne-moi… Pourquoi n’es-tu pas mort, démon ? Tu t’es tué il y a cinq ans, tu as tué ma soeur, et c’est toujours : père, pardonne-moi. Sadique, pervers, assassin, démon… non, homme détestable, homme empoisonné !
Je reviens de loin, je ne reviens de nulle part. Ah ! comme je me suis échappée, comme j’ai fui le brave maître Jacobs, cet aimable avocat, quand il est venu m’aider, au moment du malheur ! Comme j’ai couru pour ne pas rester seule avec lui, de peur qu’il ne devienne fou et ne m’empoisonne. Et quand il est revenu avec sa femme, j’ai couru aussi. J’étais persuadée que les femmes, c’était aussi le démon, et qu’elles ne devaient pas me toucher. Ils ont eu toutes les peines du monde avec moi. Et j’ai mis du temps à comprendre que ce n’était pas eux qui étaient insensés, mais moi… J’ai mis du temps à comprendre la gentillesse de la mère Jacobs, quand elle me disait : « Voyons, mon enfant, personne ne met de robes pareilles depuis quarante ans. » Et dans le taxi, quand je hurlais sans pouvoir m’arrêter. Tout ça parce que j’avais vu tous ces corps qui se touchaient, tous si terriblement vivants. Des corps dans les rues. Des corps sur les marches d’escalier. Des corps dans les photographies de journaux. Des hommes qui tenaient des femmes qui riaient, audacieuses, impudiques… Et le Dr Rothenstein qui expliquait, qui expliquait. Et qui reprenait depuis le début et expliquait encore. Que la sueur empoisonnée n’existait pas. Qu’il fallait des hommes et des femmes, sans quoi il n’y aurait plus personne du tout… Je devais apprendre tout ça, cher père diabolique, à cause de toi. A cause de toi, je n’avais jamais vu d’automobile. Je n’avais jamais vu un sein nu, ni un journal, ni un chemin de fer, ni une serviette en papier, ni un baiser, ni un restaurant, ni un ascenseur, ni un maillot de bain, ni les poils du… Ô père, pardonne-moi.
Je ne crains pas le fouet. Je crains les yeux et les mains — merci, père. Un jour, un jour tu verras, je vivrai avec du monde autour de moi. Je voyagerai dans leurs trains et je conduirai ma propre voiture. Je me trouverai au milieu de la foule, sur la plage ; au bord de la mer qui avance et recule sans jamais de muraille pour l’arrêter. J’entrerai dans l’eau et j’en sortirai habillée seulement d’un morceau d’étoffe ici et là. Et je montrerai mon nombril. Et je rencontrerai un homme aux dents blanches, père, et aux bras ronds et musclés. Et je… Que vais-je devenir ? Oh ! Que suis-je devenue ? Père, pardonne-moi.
J’habite une maison que tu ne connais pas. Il y a des fenêtres qui donnent sur la route, où passent les voitures qui font un bruit amical. Il y a aussi des enfants qui jouent devant la haie. Cette haie n’est pas un mur et le passage est ouvert à tout le monde. Je regarde de derrière le rideau quand ça me plaît, et je vois les étrangers. Impossible qu’il fasse nuit noire dans la salle de bains. Il y a un miroir aussi grand que moi. Et un de ces jours, père, je laisserai tomber la serviette dans laquelle je me drape.
Mais tout ça, c’est pour plus tard. Les promenades parmi les vivants, qu’on touche sans crainte, pour plus tard. Pour l’instant, je suis une solitaire. Il faut que je lise, que je lise. Que j’apprenne la marche du monde. Que j’apprenne le monde et ses oeuvres et les fous comme toi, père, et ce qui les a si terriblement pervertis. […] (Après un long silence.) Je me demande comment il se fait, père, que tu aies eu l’élégance de te faire sauter ta cervelle pourrie. »
Monologue pour une adolescente ou une jeune femme (5-6 minutes). Theodore Sturgeon, Les plus qu’humains (More Than Human), traduction française de Michel Chrestien révisée par Pierre-Paul Durastanti, J’ai Lu, p. 43-45. N’oubliez pas qu’il est impossible de travailler un texte sans l’œuvre complète. Vous pouvez acheter le livre en ligne et le récupérer dans la librairie la plus proche via ce lien Place des Libraires : Les plus qu’humains − Theodore Sturgeon