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Xavier Dolan (Hubert) dans J’ai tué ma mère
Très joli film explorant la nature de l’amour qui relie un fils et sa mère. Il s’ouvre d’ailleurs sur ce magnifique exergue de Maupassant : « On aime sa mère presque sans le savoir, et on ne prend conscience de toute la profondeur des racines de cet amour qu’au moment de la séparation dernière. ». Au fil de la trame, Hubert (Xavier Dolan), adolescent précoce et homosexuel, s’interroge sur cette relation complexe dans de courts monologues, que j’ai regroupés ci-dessous en un seul texte.
HUBERT. — Je sais pas ce qui s’est passé. Quand j’étais petit, on s’aimait. Alors, je l’aime. Je peux la regarder, lui dire hello, être à côté d’elle. Je peux pas être son fils. Je pourrais être le fils à n’importe qui. Mais pas d’elle. […] (Il écrit à son bureau.) « Ô femme sinistre, fracassante et cruelle / Les sistres lugubres dans ta voix de crécelle / Ils entonnent un chant triste et affreux qui me hante / Et je fuis dans un pré verdoyant d’épouvante! » […] On devrait pouvoir se tuer idéalement. Dans nos têtes. Puis renaître après. Pouvoir parler, se regarder, être ensemble, comme si on s’était jamais rencontrés dans le fond. Ma mère puis moi, si on était des inconnus, je suis sûr qu’on s’aimerait bien. […] Quand j’étais petit, on était comme des amis. Ses collègues de travail n’arrêtaient pas de lui dire à quel point j’étais un enfant-roi, puis que ça ferait longtemps qu’ils m’auraient botté le cul. Voilà ces genres de petites madames qui disent tout le temps : « C’est spécial… » Roh, c’est fatiguant ça… Quand on dit « C’est spécial », c’est qu’on n’a pas l’intelligence de comprendre la différence, ou de l’apprécier, ou d’avoir le courage de dire qu’on haït ça. Ma mère me dit souvent que je suis « spécial ». […] J’imagine que, aux yeux des gens, haïr sa mère, c’est un péché. C’est hypocrite quand même… Eux aussi, ils ont noyé leur mère, c’est sûr. Ça a peut-être duré une seconde, ça a peut-être duré un an, peut-être que ça dure plus, peut-être que ça a été oublié, je sais pas… Mais je m’en fous, ils l’ont quand même fait. […] Quand je le dis, je le pense. Au fond, je l’aime. Mais pas d’un amour de fils. C’est bizarre parce que, si quelqu’un lui faisait du mal, je voudrais tuer cette personne. Oui. Et en même temps, je peux penser à une centaine de personnes que j’aime plus que ma mère. C’est quand même assez paradoxal d’avoir une mère qu’on est incapable d’aimer. Et qu’on est incapable de ne pas aimer, en même temps.
Extrait de J’ai tué ma mère de Xavier Dolan. N’oubliez pas qu’il est impossible de travailler un texte sans l’œuvre complète. En ce moment, vous pouvez regarder le film sur Mubi (30 jours d’essai gratuit) en cliquant sur ce lien.