La Compagnie Affable

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L’Auberge rouge : Madame Martin se confesse au Moine…

L'Auberge rouge film Claude Autant-Lara Fernandel moine

Fernandel et Françoise Rosay dans L’Auberge rouge.

Un moine (Fernandel) se voit contraint de passer la nuit dans une auberge, où les hôteliers ont pris l’habitude d’assassiner leurs clients. Mais, cette nuit-là, la tenancière (Françoise Rosay) a fermement décidé de prendre sa retraite, aussi fait-elle venir le prêtre pour se confesser…

Madame Martin est alitée, dans une position de gisant. Le moine  frappe, puis entre dans la chambre.

Le Moine. — Vous êtes fatiguée ? Dites-moi, vous n’avez pas peur de mourir tout de même… ?

Mme Martin. — Oh non… Pas moi…

Le Moine. — Pas vous ? Mais qui alors ?

Mme Martin. — Confessez-moi, et vous le saurez…

Le Moine. — Confessez-moi, confessez-moi, ça c’est facile à dire ! Mais vous croyez qu’on confesse comme ça ? D’abord, j’ai pas ce qu’il me faut.

Mme Martin. — Bah qu’est-ce qu’il vous faut ?

Le Moine. — Et ben, il me faut un confessionnal, ou tout au moins, une grille…

Mme Martin. — Une grille ?

Le Moine. — Ben il faut pas qu’on se voie tous les deux !

Mme Martin. — Pourquoi ?

Le Moine. — Pourquoi, pourquoi ! Toujours des questions ! Je me le demande pas, moi qui suis moine ! Je suppose que c’est parce qu’il ne faut pas qu’on sache à qui on a affaire…

Mme Martin. — Bah vous le savez bien que c’est à moi que vous avez affaire…

Le Moine. — Ben, dès qu’il y aura la grille, je le saurai plus !

Mme Martin. — (Elle se lève tout à coup.) Ah, bon !

Le Moine. — Mais dites, ça a l’air d’aller beaucoup mieux…

Mme Martin. — (à la cantonade.) Fétiche ! Monte-moi le petit grill à châtaignes ! (au moine.) Je pense que ça suffira.

Le Moine. — Vous voilà bien chrétienne tout d’un coup… En tout cas, il y a un péché que vous avez fait… c’est d’avoir voulu jeter un pauvre prêtre dans la tempête ! Si c’est ça qui vous tourmente, n’aggravez pas votre faute en lui retardant son souper.

Mme Martin. — (à Fétiche, qui lui apporte le grill.) Merci. (Elle donne le grill au moine.)

Le Moine. — J’espère que le bon Dieu s’en contentera…

Le Moine s’assoit et place le grill devant son visage, tandis que Mme Martin s’agenouille devant lui, et joint les mains comme une pénitente.

Le Moine. — Et alors ?

Mme Martin. — Dites-moi d’abord, mon père, c’est vrai ça ce qu’ils racontent les prêtres, que jamais ils ne répètent ce qu’on leur a dit en confession ?

Le Moine. — Ah, écoutez, ma fille, depuis deux-mille ans qu’on se confesse — et Dieu sait si ça en fait des péchés, oh misère ! —, jamais le secret de la confession n’a été violé ! Saint-Anselme s’est laissé arraché la langue, avec des tenailles rougies au feu, plutôt que de révéler une chose qui lui avait été confiée ! Hé ! Mais bon, c’est une chose sans importance…

Mme Martin. — Comment on l’a su ?

Le Moine. — Je sais pas. Et Saint-Chrisostome, c’est pire encore ! On lui a coupé…

Mme Martin. — Assez, mon père, je vous crois. Mais vous, vous vous laisseriez arracher la langue ?

Le Moine. — Oh, je n’aurais aucun mérite, vous savez, parce que tout ce qui rentre par cette oreille, s’en va par l’autre !

Mme Martin. — Et entre les deux oreilles, ça vous reste pas un peu… ?

Le Moine. — Oh, très peu ! Sitôt que le pénitent a le dos tourné, c’est envolé ! C’est une grâce que le bon Dieu nous fait. Autrement, vous savez, avec ce qu’on nous raconte… (Il se rassied et se signe.) Dites votre Confiteor.

Mme Martin. — Je me rappelle plus…

Le Moine. — Alors, commencez votre confession…

Mme Martin. — Depuis vingt ans, mon père…

Le Moine. — Vous vous êtes pas confessée depuis vingt ans ?!

Mme Martin. — Non, mon père…

Le Moine. — Ça va être long…

Mme Martin. — Si vous m’interrompez, ça va être plus long encore !

Le Moine. — Allez, allez, allez dépêchez-vous…

Mme Martin. — Depuis vingt ans, mon père, que nous sommes établis dans cette auberge, mon mari et moi… Ah, faut vous dire que nous étions marchands forains, et puis un jour mon mari a eu envie qu’on se fixe… C’est alors qu’on s’est installés ici… Moi ça m’étonnait bien un peu, je lui disais : « Martin, ça n’est pas bien passant… » Mais il me répondait : « T’inquiète pas, Marie, ici… ici, y’aura pas de morte saison. » Alors, je lui disais : « Mais, des clients, y’en aura pas beaucoup… » Et il me disait : « Y’en aura peut-être pas beaucoup, mais on les gardera. » J’avais pas encore compris ce qu’il voulait dire…

Le Moine. — Moi non plus.

Mme Martin. — Attendez ! Oh, il disait ça parce qu’il aimait bien à rire… dans le temps. Et puis, au premier voyageur, j’ai compris… C’était un gros marchand de dentelles, avec son cheval… On l’a gardé longtemps… le cheval… (Un bref silence.) Le marchand aussi on l’a gardé, il est encore ici… Je me rappelle bien où, parce que c’était le premier… Dans le jardin… sous le châtaignier…

Le Moine. — Sous le châtaignier ? Dans… dans la terre… ?

Mme Martin. — Et oui, dans la terre ! Puisqu’il était mort !

Le Moine. — Mort ! Oh, le pauvre… Ça a dû vous faire un coup, pour votre premier client…

Mme Martin. — Le second, c’était un Parisien, un bon garçon, un célibataire, ça valait mieux…

Le Moine. — Ah oui ? Et pourquoi ?

Mme Martin. — Parce que personne ne les pleure… les célibataires…

Le Moine. — Ah, parce qu’il est mort, lui aussi ? Eh, dites, vous aviez pas de chance !

Mme Martin. — Il n’a pas beaucoup souffert, celui-là… Et le troisième, il a encore moins souffert… Mon mari s’était fait la main…

Le Moine. — Ah… votre mari s’était fait la main… et oui ! Il s’était fait la main… (Soudain, il réalise.) Ah… Ah, mon Dieu… je commence à vous comprendre !…

Mme Martin. — Oui ! Mais qu’est-ce que vous voulez, chez nous, c’est si facile ! Vous avez bien vu l’escalier, avec le petit renfoncement, on était presque forcés…

Le Moine. — Ah, parce que c’est là que ça se passait… ?

Mme Martin. — Les trois premiers, oui…

Le Moine. — Parce qu’il y en a eu d’autres !?

Mme Martin. — Oh ! On ne les compte plus !

Le Moine. — Ah ! Ah… on les compte plus… mais voyons, pas plus de… dix…?

Mme Martin. — Oh, mon père…

Le Moine. — Pas plus de… vingt… ?

Mme Martin. — Oh, si c’était que vingt…

Le Moine. — Quoi ?! Trente… ? (Elle fait non de la tête.) Trente-et-un !

Mme Martin. — Voyons, mon père… Je vous ai dit depuis vingt ans ! Alors, trente-et-un, ça ne ferait même pas deux par an… Et qu’est-ce que c’est, deux par an… ?

Le Moine. — Évidemment… évidemment, c’est… Mais alors… combien ?

Mme Martin. — Si vous voulez le savoir, ce soir, c’était le cent-deuxième…

Le Moine. — Ah… ah, mon Dieu… mais où je suis tombé… ?

Mme Martin. — Mais je viens de vous l’expliquer, mon père, dans une auberge où on tue tout le monde ! C’est un vrai cimetière tout autour ! Et encore, il n’y sont pas tous…

Le Moine. — Oh…

Mme Martin. — Tenez, le dernier, vous pouvez le voir…

Le Moine. — Où…?

Mme Martin. — Par la fenêtre.

Le Moine. — Là…? (Elle fait oui de la tête. Il va à la fenêtre.) Je vois rien… Mais alors, rien du tout… Où ça… ?

Mme Martin. — Dans le bonhomme de neige.

Le Moine. — Dedans… ?

Mme Martin. — Dedans.

Le Moine. — (Il regarde à nouveau par la fenêtre, et éclate d’un grand rire nerveux.) Ah ah ah ah ah !

Mme Martin. — Oh, vous savez, il n’est pas plus mal là qu’ailleurs… Pensez qu’il pourrait être dans le ventre d’un cochon…

Le Moine. — Quoi ! Vous donnez les Chrétiens à manger aux cochons ?!

Mme Martin. — Ben, ils les mangent bien, eux…

Le Moine. — Et vous ? Vous en mangez du cochon ?

Mme Martin. — Je vous dirais que moi, je l’aime pas tant que ça, le cochon…

Le Moine. — Ah ! (Il se rassied.)

Longue scène (10 minutes environ) comique pour un homme et une femme. Dialogue extrait du film L’Auberge rouge, réalisé par Claude Autant-Lara (1951), adapté de la nouvelle éponyme de Balzac. N’oubliez pas qu’il est impossible de travailler un texte sans l’œuvre complète.

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